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Le corricolo

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Il en résulta que de mauvais soupçons planèrent sur saint Janvier: on l'accusa tout bas de s'être laissé séduire par de belles paroles, et de tourner tout doucement au républicanisme.

Ce bruit fut la première atteinte portée au pouvoir spirituel et temporel de saint Janvier.

Nous avons dit ailleurs comment les choses suivirent un autre cours que celui auquel on s'attendait. Les Français, battus dans l'Italie occidentale, rappelèrent les troupes qui occupaient Naples: le général Macdonald, qui avait remplacé le général Championnet, évacua la capitale, laissant la république parthénopéenne à elle-même. Trois mois après, la pauvre république n'existait plus.

Il y eut alors une réaction terrible contre tout ce qui avait subi l'influence du parti français. Nous avons raconté les supplices de Caracciolo, d'Hector Caraffa, de Cirillo et d'Éléonore Pimentale; pendant deux mois, Naples fut une vaste boucherie. Que ceux qui en ont le courage ouvrent Coletta et fassent avec lui le tour de cet effroyable charnier.

Cependant, lorsque les lazzaroni eurent tout tué ou tout proscrit, force leur fut de s'arrêter. On regarda alors de tous côtés, pour voir si l'on n'avait oublié personne, avant de déraciner les potences, de démonter les échafauds et d'éteindre les bûchers; tout était muet et désert comme une tombe; il n'y avait que des bourreaux sur les places, des spectateurs aux fenêtres, mais plus de victimes.

Quelqu'un pensa alors à saint Janvier, lequel avait fait son miracle d'une façon si anti-nationale et surtout si inattendue.

Mais saint Janvier n'était pas une de ces puissances d'un jour, à laquelle on s'attaque sans s'inquiéter de ce qu'il en résultera: saint Janvier avait vu passer les Grecs, les Goths, les Sarrasins, les Normands, les Souabes, les Angevins, les Espagnols, les vice-rois, et les rois, et saint Janvier était toujours debout; de sorte que ce fut tout bas et presque en tremblant que le premier qui accusa saint Janvier formula son accusation.

Mais, justement à cause de cette longue popularité saint Janvier avait au fond beaucoup plus d'ennemis qu'on ne lui en connaissait. Si bienveillant, si puissant, si attentif qu'il fût, il lui avait été impossible, au milieu du concert de demandes qui monte éternellement jusqu'à lui, d'entendre et d'exaucer tout le monde; il s'était donc, sans qu'il s'en doutât lui-même, fait une foule de mécontens, lesquels n'osaient rien dire tant qu'ils se croyaient isolés, mais se rallièrent immédiatement au premier accusateur qui éleva la voix; il en résulta que, contre son attente, celui-ci eut un succès auquel il ne s'était pas attendu.

Du moment qu'on n'avait pas mis l'accusateur en pièces, on l'éleva sur un pavois: aussitôt chacun fit chorus; il n'y eut pas jusqu'au plus petit lazzarone qui ne formulât sa petite accusation. Saint Janvier, d'abord soupçonné d'indifférence, fut bientôt taxé de trahison; on l'appela libéral, on l'appela révolutionnaire, on l'appela jacobin. On courut à la chapelle du Trédor, qu'on pilla préalablement; puis on prit la statue du saint, on lui attacha une corde au cou, on la traîna sur le Môle, on la jeta à la mer.

Quelques voix s'élevèrent bien parmi les pêcheurs contre cette exécution, qui sentait son 2 septembre d'une lieue; mais ces voix furent aussitôt couvertes par les vociférations de la populace, qui criait: —A bas saint Janvier! saint Janvier à la mer!

Saint Janvier subit donc une seconde fois le martyre, et fut jeté dans les flots; il est vrai que cette fois il était exécuté en effigie.

Mais saint Janvier ne fut pas plus tôt à la mer que la ville de Naples se trouva sans patron, et que, habituée comme elle l'était à une protection miraculeuse, elle sentit de la façon la plus déplorable l'isolement dans lequel elle se trouvait.

Son premier mouvement, son mouvement naturel, fut de recourir à l'un de ses soixante-quinze patrons secondaires, et de lui transmettre la survivance de saint Janvier.

Malheureusement ce n'était pas chose facile à faire; les saints supérieurs étaient occupés ailleurs: saint Pierre avait Rome, saint Paul avait Londres, saint François avait Assise, saint Charles Borromée Arona; chacun enfin avait sa ville qu'il avait toujours protégée comme saint Janvier avait protégé Naples, et il n'y avait pas lieu d'espérer que, quelque espérance d'avancement que lui donnât cette nouvelle nomination, il abandonnât son peuple pour un peuple nouveau. D'un autre côté en partageant son patronage, il y avait à craindre que le saint n'eût plus de besogne qu'il n'en pouvait faire, et n'étreignît mal pour trop embrasser.

Restaient, il est vrai, les saintes, qui, grâce à l'établissement presque général de la lui salique, ont plus de temps à elles que les saints; mais c'était un pauvre successeur à donner à saint Janvier qu'une femme, et les Napolitains étaient trop fiers pour laisser ainsi tomber le patronage de leur ville en quenouille.

Pendant ce temps, toutes sortes de brigues s'ourdissaient: chacun présentait son saint, exagérait ses mérites, doublait ses qualités, s'engageait pour lui et en son nom, répondait de sa bonne volonté; il n'y eut pas jusqu'à saint Gaëtan qui n'eût ses prôneurs. Mais on comprend que c'était un mauvais antécédent pour le saint que de s'être laissé voler lui-même, et de n'avoir pas pu se retrouver. Aussi san Gaëtan n'eut-il pas un instant de chance, et ne fut-il nommé que pour mémoire.

On résolut de faire un conclave où les mérites des prétendans seraient examinés, et d'où sortirait le plus digne. Les noms des soixante-quinze saints furent proclamés; après chaque proclamation, chacun eut la liberté de se lever et de dire en faveur du dernier nommé tout ce que bon lui semblerait; la liberté entière de vote fut accordée; et, pour que ces votes fussent essentiellement libres, on décréta que le scrutin sérait secret.

Au troisième tour de scrutin, saint Antoine fut élu.

Ce qui avait surtout plaidé en faveur de saint Antoine, c'est qu'il est patron du feu.

Or, Naples étant incessamment menacée, comme Sodome et Gomorrhe, de périr de combustion instantanée, voyait une certaine sécurité dans le choix d'un patron qui tenait particulièrement sous sa dépendance l'élément mortel et redouté.

Mais Naples n'avait pas songé à une chose, c'est qu'il y a feu et feu, comme il y a fagots et fagots. Saint Antoine était le patron du feu causé par accident, par inadvertance, par maladresse; il était souverain contre tout incendie ayant pour principe une cause humaine; mais saint Antoine ne pouvait rien contre le feu du ciel, ni contre le feu de la terre; saint Antoine était impuissant contre la foudre et contre la lave, contre les orages et contre les volcans. A part le soin avec lequel il s'était gardé jusque-là, saint Antoine n'était donc pas pour Naples un patron de beaucoup supérieur à saint Gaëtan.

Saint Antoine n'en fut pas moins proclamé patron de Naples au milieu de l'allégresse générale. Il y eut des danses, des fêtes, des joutes sur l'eau, des distributions gratis, des spectacles en plein air et des feux d'artifice; de sorte que saint Antoine se crut aussi solide à son poste que l'avaient été successivement les vingt-trois empereurs romains successeurs de Charlemagne, ou les deux cent cinquante-sept papes successeurs de saint Pierre.

Saint Antoine comptait sans le Vésuve.

Six mois s'écoulèrent sans qu'aucun événement vint porter atteinte à la popularité du nouveau patron; deux, ou trois incendies avaient même eu lieu dans la ville, qui avaient été miraculeusement réprimés par la seule présence de la châsse du saint: de sorte que non seulement on commençait d'oublier saint Janvier, mais qu'il y, avait même des courtisans du pouvoir qui proposaient de jeter bas la statue de l'ex-patron de Naples que, par oubli sans doute, on avait laissée debout à la tête du ponte della Maddalena.

Heureusement l'exaspération était calmée, et cette proposition de vengeance rétroactive n'eut aucun résultat.

Tout semblait donc marcher pour le mieux dans le meilleur des mondes possible, lorsqu'un beau matin on s'aperçut que la fumée du Vésuve s'épaississait sensiblement et montait au ciel avec uni violence et une rapidité extraordinaires. En même temps, des bruits souterrains commencèrent à se faire entendre; les chiens hurlaient lamentablement, et de nombreuses troupes d'oiseaux effrayés tournoyaient en l'air, s'abattant pour un instant, puis reprenant leur vol aussitôt, comme s'ils eussent craint de se reposer sur une chose qui avait sa racine dans la terre. De son côté, la mer présentait des phénomènes particuliers tout aussi effrayans; du bleu d'azur qui lui est habituel sous le beau ciel de Naples, elle était passée à une couleur cendrée qui lui ôtait toute sa transparence; et, quoique calme en apparence, quoique aucun vent ne l'agitât, de grosses vagues isolées montaient, bouillonnant et venaient crever à la surface en répandant une forte odeur de soufre. Parfois aussi, comme s'il y eût eu pour la mer méditerranéenne une marée pareille à celle qui agite le vieil Océan, le flot montait au dessus de son rivage, puis tout a coup reculait, laissant la plage nue, pour revenir bientôt comme il s'était éloigné. Ces présages étaient trop connus pour qu'on doutât un seul instant de ce qu'ils annonçaient: une éruption du Vésuve était imminente.

Dans tout autre moment, Naples s'en serait souciée comme de Colin-Tampon; mais au moment du danger Naples se souvint qu'elle n'avait plus saint Janvier, qui, pendant quatorze siècles, l'avait si bien gardée de son redoutable voisin, que le Vésuve avait eu beau jeter feu et flamme, l'insouciante fille de Panthénope n'avait pas moins continué de se mirer dans son golfe, comme si la chose ne l'eût regardée aucunement. En effet, la Sicile avait été bouleversée, la Calabre avait été détruite; Résina et Torre del Greco, rebâties, l'une sept fois et l'autre neuf, s'étaient autant de fois fondues dans un torrent de la lave, sans que jamais une seule des maisons enfermées dans l'enceinte des murailles de Naples eût été seulement et ébranlée. Aussi la confiance était-elle arrivée à ce point que les Napolitains ne regardaient plus le Vésuve que comme une espèce de phare à la lueur duquel ils voyaient le bouleversement du reste du monde sans qu'eux-mêmes eussent à craindre d'être bouleversés. Mais cette fois un vague instinct de malheur leur disait qu'il n'en était plus ainsi. Avec saint Janvier la sécurité avait disparu: le pacte était rompu entre la ville et la montagne.

 

Aussi, contre l'habitude, une certaine terreur, à la vue de ces signes menaçans, se répandit-elle dans la cité. Au lieu de se coucher aux grondemens de la montagne, les nobles et les bourgeois dans leurs lits, les pêcheurs dans leurs barques, les lazzaroni sur les marches de leurs palais, chacun resta debout et examina avec inquiétude le travail nocturne du volcan. C'était à la fois un magnifique et terrible spectacle, car à chaque instant les présages devenaient plus certains et le danger plus imminent. En effet, de minute en minute la fumée se déroulait plus épaisse, et de temps en temps de longs serpens de flamme, pareils a des éclairs, jaillissaient de la bouche du volcan et se dessinaient sur la spirale sombre qui semblait soutenir le poids du ciel. Enfin, vers les deux heures du matin, une détonation terrible se fit entendre; la terre oscilla, la mer bondit, et la cime du mont, se déchirant comme une grenade trop mûre, donna passage à un fleuve de lave ardente qui, un instant incertain de la direction qu'il devait prendre, s'arrêta comme sur un plateau; puis, comme s'il eût été conduit par une main vengeresse, abandonna son cours accoutumé et s'avança directement vers Naples.

Il n'y avait pas de temps à perdre: une fois sa direction prise, la lave s'avance avec une lente, mais impassible inflexibilité; rien ne la détourne, rien ne la fléchit, rien ne l'arrête; elle tarit les fleuves, elle comble les vallées, elle surmonte les collines; elle enveloppe les maisons, les coupe par leur base, les emporte comme des îles flottantes et les balance à sa surface jusqu'à ce qu'elles s'écroulent dans ses flots. A son approche, l'herbe su dessèche, les feuilles meurent, jaunissent et tombent; la sève des arbres s'évapore; l'écorce éclate et se soulève; le tronc fume et se plaint; la lave est à vingt pas de lui encore, que déjà il se tord, s'embrase, s'enflamme, pareil à ces ifs qu'on prépare pour les fêtes publiques; si bien que, lorsqu'elle l'atteint, le géant foudroyé n'est déjà plus qu'une colonne de cendre qui tombe en poussière, et s'évanouit comme si elle n'avait jamais existé.

La lave s'avançait vers Naples.

On courut à la chapelle du Trésor; on en tira la statue de saint Antoine; six chanoines la prirent sur leur dos, et, suivis d'une partie de la population, s'avancèrent vers l'endroit où menaçait le danger.

Mais ce n'était plus là un de ces incendies sans conséquence sur lesquels saint Antoine n'avait eu qu'à souffler pour les éteindre; c'était une mer de feu qui s'avançait, ruisselant de rocher en rocher, sur une largeur de trois quarts de lieue. Les chanoines portèrent le saint le plus près de la lave qu'il leur fut possible, et là ils entonnèrent le Dies irae, dies illa. Mais, malgré la présence du saint, malgré les chants des chanoines, la lave continua d'avancer. Les chanoines tinrent bon tant qu'ils purent, aussi y eut-il un moment où l'on crut le feu vaincu. Mais ce n'était qu'une fausse joie: saint Antoine fut contraint de reculer.

De ce moment on comprit que tout était perdu. Si le patron de Naples ne pouvait rien pour Naples, quel serait le saint assez puissant pour la sauver? Naples, la ville des délices; Naples, la maison de campagne de Rome du temps d'Auguste; Naples, la reine de la Méditerranée dans tous les temps; Naples allait être ensevelie comme Herculanum et disparaître comme Pompéia. Il lui restait encore deux heures à vivre, puis tout serait dit: Naples aurait vécu!

La lave s'avançait toujours; elle avait atteint d'un côté le chemin de Portici, et commençait à se répandre dans la mer; elle avait dépassé de l'autre le Sebetus et commençait à se répandre dans les jardins. Le centre descendait droit sur l'église de Sainte-Marie-des-Grâces, et allait atteindre le pont della Maddalena.

Tout à coup la statue de marbre de saint Janvier, qui se tenait à la tête du pont les mains jointes, détacha sa main droite de sa main gauche, et, d'un geste suprême et impératif, étendit son bras de marbre vers la rivière de flammes. Aussitôt le volcan se referma; aussitôt la terre cessa de frémir; aussitôt la mer se calma. Puis la lave, après avoir fait encore quelques pas, sentant la source qui l'alimentait se tarir, s'arrêta tout à coup à son tour. Saint Janvier venait de lui dire, comme autrefois Dieu à l'Océan:

– Tu n'iras pas plus loin!

Naples était sauvée!

Sauvée par son ancien patron, par celui qu'elle avait hué, conspué, détrôné, jeté à l'eau, et qui se vengeait de toutes ces humiliations, de toutes ces insultes, de toutes ces injures, comme Jésus-Christ s'était vengé de ses bourreaux, en leur pardonnant.

Il ne faut pas demander si la réaction fut rapide: à l'instant même les cris de: Vive saint Janvier! retentirent d'un bout de la ville à l'autre; toutes les cloches bondirent, toutes les églises chantèrent. On courut à l'endroit où l'on avait jeté la statue de saint Janvier à la mer; on l'enveloppa de filets, et l'on demanda les meilleurs plongeurs pour aller reconnaître l'endroit où gisait le précieux simulacre. Mais alors un vieux pêcheur fit signe qu'on eût à le suivre. Il conduisit toute cette foule à sa cabane; puis, y étant entré seul, il en sortit un instant après tenant la statue du saint dans ses bras.

Le même soir où elle avait été précipitée du haut du Môle, il l'avait retirée de la mer et l'avait précieusement emportée chez lui.

La statue fut aussitôt transportée à la cathédrale de Sainte-Claire, et le lendemain réintégrée en grande pompe dans la chapelle du Trésor.

Quant au pauvre saint Antoine, il fut dégradé de tous ses titres et honneurs, et, à partir de cette heure, classé dans l'esprit des Napolitains un cran plus bas que saint Gaëtan.

Depuis ce jour, la dévotion à saint Janvier, loin de subir quelque nouvelle atteinte, a toujours été en croissant.

J'ai entendu dans une église la prière d'un lazzarone: il demandait à Dieu de prier saint Janvier de le faire gagner à la loterie.

XXIV
Le Capucin de Resina

Le Vésuve, dont nous nous sommes encore assez peu occupé, mais auquel nous reviendrons plus tard, est le juste milieu entre l'Etna et le Stromboli.

Je pourrais donc, en toute sécurité de conscience, renvoyer mes lecteurs aux descriptions que j'ai déjà données des deux autres volcans.

Mais, dans la nature comme dans l'art, dans l'oeuvre de Dieu comme dans le travail de l'homme, dans le volcan comme dans le drame, à côté du mérite réel il y a la réputation.

Or, quoique les véritables débuts du Vésuve dans sa carrière volcanique datent à peine de l'an 79, c'est-à-dire d'une époque où l'Etna était déjà vieux, il s'est tant remué depuis dans ses cinquante éruptions successives, il a si bien profité de son admirable position et de sa magnifique mise en scène, il a fait tant de bruit et tant de fumée, que non seulement il a éclipsé le nom de ses anciens confrères, qui n'étaient ni de force ni de taille à lutter contre lui, mais qu'il a presque effacé la gloire du roi des volcans, du redoutable Etna, du géant homérique.

Il faut aussi convenir qu'il s'est révélé au monde par un coup de maître.

Envelopper la campagne et la mer d'un sombre nuage; répandre la terreur et la nuit sur une immense étendue; envoyer ses cendres jusqu'en Afrique, en Syrie, en Égypte; supprimer deux villes telles qu'Herculanum et Pompeïa; asphyxier à une lieue de distance un philosophe tel que Pline, et forcer son neveu d'immortaliser la catastrophe par une admirable lettre; vous m'avouerez que ce n'est pas trop mal pour un volcan qui commence, et pour un ignivome qui débute.

A dater de cette époque le Vésuve n'a rien négligé pour justifier la célébrité qu'il avait acquise d'une manière si terrible et si imprévue. Tantôt éclatant comme un mortier et vomissant par neuf bouches de feu des torrens de lave, tantôt pompant l'eau de la mer et la rejetant en gerbes bouillonnantes au point de noyer trois mille personnes, tantôt se couronnant d'un panache de flammes qui s'éleva en 1779, selon le calcul des géomètres, à dix-huit mille pieds de hauteur, ses éruptions, qu'on peut suivre exactement sur une collection de gravures coloriées, ont toutes un caractère différent et offrent toujours l'aspect le plus grandiose et le plus pittoresque. On dirait que le volcan a ménagé ses effets, varié ses phénomènes, gradué ses explosions avec une parfaite entente de son rôle. Tout lui a servi pour agrandir sa renommée: les récits des voyageurs, les exagérations des guides, l'admiration des Anglais, qui, dans leur philanthropique enthousiasme, donneraient leur fortune et leurs femmes par dessus pour voir une bonne fois brûler Naples et ses environs. Il n'est pas jusqu'à la lutte soutenue avec saint Janvier, lutte, à la vérité, où le saint a remporté tout l'avantage, qui n'ait aussi ajouté à la gloire du Vésuve. Il est vrai que le volcan a fini par être vaincu, comme Satan par Dieu; mais une telle défaite est plus grande qu'un triomphe. Aussi le Vésuve n'est plus seulement célèbre, il est populaire.

On comprend, après cela, qu'il m'était impossible de quitter Naples sans présenter mes hommages au Vésuve.

Je fis donc prévenir Francesco5 qu'il eût à tenir prêt son corricolo pour le lendemain matin à six heures, en lui recommandant bien d'être exact, et en joignant à la recommandation six carlins de pour-boire, seul moyen de rendre la recommandation efficace.

Le lendemain, à la pointe du jour, Francesco et son fantastique attelage étaient à la porte de l'hôtel. Jadin refusa de m'accompagner dans ma nouvelle ascension, prétendant que son croquis n'en serait que plus exact s'il ne quittait pas sa fenêtre, et m'engageant par toutes sortes de raisons à ne pas me déranger moi-même pour si peu de chose. A l'entendre, le Vésuve était un volcan éteint depuis plusieurs siècles, comme la Solfatare ou le lac d'Aguano; seulement le roi de Naples y faisait tirer de temps à autre un petit feu d'artifice à l'intention des Anglais. Quant à Milord, il partagea complètement l'avis de son maître: l'intelligent animal, après son bain dans les eaux bouillantes de Vulcano et son passage dans les sables brûlans de Stromboli, était parfaitement guéri de toute curiosité scientifique.

Je partis donc seul avec Francesco.

Le brave conducteur commença par s'informer très respectueusement si son excellence mon camarade n'était pas indisposé. Rassuré sur l'objet de ses craintes, il s'empressa de quitter sa tristesse de commande, reprit son air le plus joyeux, son sourire le plus épanoui, et fit claquer son fouet avec un redoublement de bonne humeur. Soit que la présence de Jadin l'eût intimidé dans nos excursions précédentes, soit qu'il eût avalé littéralement son pour-boire de la veille, Francesco déploya tout le long de la route une verve sceptique et une incrédulité voltairienne que je ne lui avais nullement soupçonnées, et qui m'étonnèrent singulièrement dans un homme de son âge, de sa condition et de son pays.

Arrivé au Ponte della Maddalena, il passa fort cavalièrement entre les deux statues de saint Janvier et de saint Antoine, affectant de siffler ses chevaux et de crier gare! à la foule, pour ne pas rendre le salut d'usage aux deux protecteurs de la ville.

Comme à la rigueur cette première irrévérence pouvait être mise sur le compte d'une distraction légitime, je fis semblant de ne pas m'en apercevoir.

Mais en traversant San Giovanni a Tudicci, village assez célèbre pour la confection du macaroni, un moine franciscain d'une santé florissante et d'une magnifique encolure, par ce droit naturel qu'ont les moines napolitains sur tous les corricoli, comme les Anglais sur la mer, héla le cocher, et lui fit signe impérieusement de l'attendre. Francesco arrêta ses chevaux avec une si parfaite bonne foi, qu'habitué d'ailleurs à de telles surprises, je m'étais déjà rangé pour faire place au compagnon que le ciel m'envoyait. Mais à peine le bon moine s'était-il approché à la portée de nos voix, que Francesco ôta ironiquement son chapeau, et lui dit avec un sourire railleur: – Pardon, mon révérend, mais je crois que saint François, mon patron et le fondateur de votre ordre, n'est jamais monté dans un corricolo de sa vie. Si je ne me trompe, il se servait de ses sandales lorsqu'il voyageait par terre, et de son manteau lorsqu'il traversait la mer. Or, vos souliers me semblent en fort bon état, et je ne vois pas le plus petit trou à votre manteau: ainsi, mon frère, si vous voulez aller à Capri, prenez votre manteau; si vous voulez aller à Sorrente, prenez vos sandales. Adieu, mon révérend.

 

Cette fois, l'irréligion de Francesco devenait plus évidente. Cependant, si son refus était toujours blâmable dans la forme, on pouvait en quelque sorte l'excuser au fond; car, m'ayant cédé son corricolo, il n'avait plus le droit d'y admettre d'autres passagers. Je voulus donc attendre une autre occasion pour lui exprimer mon mécontentement.

Comme nous entrions à Portici, à la hauteur d'une petite rue qui mène au port du Granatello, je remarquai une énorme croix peinte en noir, et au dessous de cette croix une inscription en grosses lettres qui enjoignait aux voitures d'aller au pas, et aux cochers de se découvrir.

Je me retournai vivement vers Francesco pour voir de quelle manière il allait se conformer à un ordre aussi simple et aussi précis: lui donnant l'exemple moi-même, plus encore, je dois le dire, par un sentiment de respect intime que par obéissance aux réglemens de Sa Majesté Ferdinand II; Francesco enfonça son chapeau sur sa tête, et fit partir ses chevaux au galop.

Il n'y avait plus de doute possible sur les intentions anti-chrétiennes de mon conducteur. Je n'avais rien vu de pareil dans toute l'Italie. Je pensai qu'il était temps d'intervenir.

– Pourquoi n'arrêtez-vous pas vos chevaux? Pourquoi ne saluez-vous pas cette croix? lui demandai-je sévèrement.

– Bah! me dit-il d'un ton dégagé qui eût fait honneur à un encyclopédiste, cette croix que vous voyez, monsieur, est la croix du mauvais larron. Les habitans de Portici l'ont en grande vénération, par une raison toute simple: ils sont tous voleurs.

L'esprit fort de cet homme renversait toutes les idées que je m'étais faites sur la foi naïve et l'aveugle superstition du lazzarone.

Néanmoins, je crus m'être trompé un instant, et j'allais lui rendre mon estime en le voyant revenir à des sentimens plus pieux. Entre Portici et Resina, au point de jonction des deux chemins, dont l'un conduit à la Favorite, et l'autre descend à la mer, s'élève une de ces petites chapelles, si fréquentes en Italie, devant lesquelles les brigands eux-mêmes ne passent pas sans s'incliner. La fresque qui sert de tableau à la petite chapelle de Resina jouit à bon droit d'une immense réputation a dix lieues à la ronde. Ce sont des âmes du purgatoire du plus beau vermillon, se tordant de douleur et d'angoisse dans des flammes si vives et si terribles, que, comparé à leur intense ardeur, le feu du Vésuve n'est qu'un feu follet.

A la vue du brasier surhumain, la raillerie expira sur les lèvres de Francesco; il porta machinalement la main à son chapeau, et jeta un long regard sur les deux chemins qui se terminaient à angle droit par la chapelle, comme s'il eût craint d'être observé par quelqu'un. Mais ce bon mouvement, inspiré soit par la peur, soit par le remords, ne dura que quelques secondes. Rassuré par son inspection rapide, Francesco redoubla de gaîté et d'aplomb, et, donnant un libre cours à ses moqueries et à ses sarcasmes, il se mit en devoir de me faire sa profession de foi, ou plutôt d'incrédulité, se vantant tout haut qu'il ne croyait ni au purgatoire, ni à l'enfer, ni à Dieu, ni au diable; et ajoutant, en forme de corollaire, que toutes ces momeries avaient été inventées par les prêtres, à l'effet de presser la bourse des pauvres gens assez simples et assez timides pour se fier à leurs promesses ou s'effrayer de leurs menaces.

Francesco me rappelait étonnamment mon brave capitaine Langlé.

J'allais arrêter ce débordement d'épigrammes émoussées et de bel-esprit de carrefour, lorsque Francesco, sautant légèrement à terre, m'annonça que nous étions arrivés.

– Comment! déjà? m'écriai-je en oubliant mon sermon.

– C'est-à-dire nous sommes arrivés à la paroisse de Resina, au pied du Vésuve. Maintenant il ne reste plus qu'à monter.

– Et comment monte-t-on au Vésuve?

– Il y a trois manières de monter: en chaise à porteurs, à quatre pattes et à âne. Vous avez le choix.

– Ah! et laquelle de ces trois manières te semble-t-elle préférable?

– Dame! ça dépend… Si vous vous décidez pour la chaise à porteurs, vous n'avez qu'à louer une de ces petites cages peintes que vous voyez là à votre gauche: montez dedans, fermez les yeux et vous laissez faire. Au bout de deux heures, on vous déposera sur le sommet de la montagne, mais…

– Mais quoi?

– Avec la chaise, on a une chance de plus de se casser le cou; vous comprenez, excellence… quatre jambes glissent mieux que deux.

– Allons, parlons d'autre chose.

– Si vous grimpez à quatre pattes, il est clair qu'en vous aidant des pieds et des mains, vous risquez moins de rouler en bas, mais…

– Encore, qu'y a-t-il?

– Il y a, excellence, que vous vous écorcherez les pieds sur la lave, et que vous vous brûlerez les mains dans les cendres.

– Reste l'âne.

– C'est aussi ce que j'allais vous conseiller, vu la grande habitude qu'a cet animal de marcher à quatre pattes depuis sa création, et la sage précaution qu'ont ses maîtres de le chausser de fers très solides; mais il y a aussi un petit inconvénient.

– Lequel? repris-je impatienté de ces objections flegmatiques.

– Voyez-vous ces braves gens, excellence? me dit Francesco, en me montrant du bout de son index un groupe de lazzaroni qui se tenaient sournoisement à l'écart pendant notre entretien, guettant du coin de l'oeil le moment favorable pour fondre sur leur proie.

– Eh bien?

– Ces gens-là vous sont tous indispensables pour monter au Vésuve. Les guides vous montreront le chemin; les ciceroni vous expliqueront la nature du volcan; les paysans vous vendront leur bâton ou vous loueront leur âne. Mais ce n'est pas tout que de louer un âne, il faut encore le faire marcher.

– Comment, drôle, tu crois que, quand j'aurai enfourché ma monture, et que je pourrai manier à mon aise un de ces bons bâtons de chêne, que je guigne du coin de l'oeil, je ne viendrai pas à bout de faire marcher mon âne?

– Pardon, excellence; ce n'est pas un reproche que je vous fais; mais vous aviez cru aussi pouvoir faire aller mes chevaux; et pourtant un cheval est bien moins entêté qu'un âne!..

– Quel sera donc ce prodigieux dompteur de bêtes que je dois appeler à mon secours?

– Moi, excellence, si vous le permettez. Je vais recommander la voiture à Tonio, un ancien camarade, et je suis à vos ordres.

– J'accepte, à la condition que tu me débarrasseras de tout ce monde.

– Vous êtes parfaitement libre de les laisser ici; seulement, que vous les ameniez ou non, il faudra toujours les payer.

– Voyons, tâche de t'arranger avec eux, et que je sois au moins délivré de leur présence.

En moins d'un quart d'heure, Francesco fit si bien les choses, que le corricolo était remisé, que les chevaux se prélassaient à l'écurie, que les lazzaroni avaient disparu, et que je montais sur mon âne. Tout cela me coûtait deux piastres.

Pauvre animal! il suffisait de le voir pour se convaincre qu'on l'avait indignement calomnié. Quand je me fus bien assuré de la docilité de ma bête et de la solidité de mon bâton, je voulus donner une petite leçon de savoir-vivre à mon impertinent conducteur, et j'appliquai un tel coup sur la croupe de ma monture, que je crus, pour le moins, qu'elle allait prendre le galop. L'âne s'arrêta court; je redoublai, et il ne bougea pas plus que si, comme le chien de Céphale, il eût été changé en pierre. Je répétai mon avertissement de droite à gauche, comme je l'avais fait une première fois de gauche à droite. L'animal tourna sur lui-même par un mouvement de rotation si rapide et si exact, qu'avant que j'eusse relevé mon bâton il était retombé dans sa position et dans son immobilité primitives. Indigné d'avoir été la dupe de ces hypocrites apparences de douceur, je fis alors pleuvoir une grêle de coups sur le dos, sur la tête, sur les jambes, sur les oreilles du traître. Je le chatouillai, je le piquai, j'épuisai mes forces et mes ruses pour lui faire entendre raison. L'affreuse bête se contenta de tomber sur ses genoux de devant, sans daigner même pousser un seul braiement pour se plaindre de la façon dont elle était traitée.

5Je m'aperçois ici que j'ai appelé notre cocher tantôt Francesco, tantôt Gaëtano. Cela tient à ce qu'il était baptisé sous l'invocation de ces deux saints, et que nous l'appelions Francesco quand nous étions de bonne humeur, et Gaëtano quand nous le boudions.