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Le corricolo

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Timothée essaya d'abord de dompter sa douleur et d'étouffer ses plaintes devant la multitude; mais, oubliant bientôt sa fierté et sa haine, il tendit les mains vers le saint, et le pria à haute voix de lui rendre la vue et de le délivrer de ses atroces souffrances.

Saint Janvier s'avança doucement vers lui au milieu de l'attention générale, et prononça cette courte prière:

«Mon Seigneur Jésus-Christ, pardonnez à cet homme tout le mal qu'il m'a fait, et rendez-lui la lumière afin que ce dernier miracle que vous daignerez opérer en sa faveur puisse dessiller les yeux de son esprit et le retenir encore sur le bord de l'abîme où le malheureux va tomber sans retour. En même temps, je vous supplie, ô mon Dieu! de toucher le coeur de tous les hommes de bonne volonté qui se trouvent dans cette enceinte; que votre grâce descende sur eux et les arrache aux ténèbres du paganisme.»

Puis élevant la voix et touchant de l'index les paupières du proconsul, il ajouta:

«Timothée, préfet de la Campanie, ouvre les yeux et sois délivré de tes souffrances, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.»

– Amen, répondirent les deux diacres.

Et Timothée ouvrit les yeux, et sa guérison s'opéra d'une manière si prompte et si complète qu'il ne se souvenait même plus d'avoir éprouvé aucune douleur.

A la vue de ce miracle, cinq mille spectateurs se levèrent, et d'une seule voix, d'un seul cri, d'un seul élan, demandèrent à recevoir le baptême.

Quant à Timothée, il rentra au palais, et, voyant que le feu était impuissant et les animaux indociles, il ordonna que les trois saints fussent mis à mort par le glaive.

Ce fut par une belle matinée d'automne, le 19 septembre de l'année 305, que saint Janvier, accompagné des deux diacres Proculus et Sosius, fut conduit au forum de Vulcano, près d'un cratère à moitié éteint, dans la plaine de la Solfatare, pour y souffrir le dernier supplice. Près de lui marchait le bourreau, tenant dans ses mains une large épée à deux tranchans, et deux légions romaines, armées de fortes pièces, précédaient ou suivaient le cortége, pour ôter au peuple de Pouzzoles toute velléité de résistance. Pas un cri, pas une plainte, pas un murmure parmi cette foule avilie et tremblant; un silence de mort planait sur la ville entière, silence qui n'était interrompu que par le piétinement des chevaux et par le bruit des armures.

Saint Janvier n'avait pas fait une cinquantaine de pas dans la direction du forum, où son exécution devait avoir lieu, lorsque, au tournant d'une rue, il fut abordé par un pauvre mendiant qui avait eu toutes les peines du monde à se frayer un passage jusqu'à lui, accablé qu'il était par le double malheur de la cécité et de la vieillesse. Le vieillard s'avançait en levant le menton et en étendant les bras devant lui, se dirigeant vers la personne qu'il cherchait avec cet instinct des aveugles qui les guide quelquefois avec plus de sûreté que le regard le plus clairvoyant. Dès qu'il se crut assez près de saint Janvier pour être entendu, le malheureux, redoublant d'efforts et de zèle, s'écria d'une voix haute et perçante:

– Mon père! mon père! où êtes-vous, que je puisse me jeter à vos genoux?

– Par ici, mon fils, répondit saint Janvier en s'arrêtant pour écouter le vieillard.

– Mon père! mon père! pourrais-je être assez heureux pour baiser la poussière que vos pieds ont foulée?

– Cet homme est fou, dit le bourreau en haussant les épaules.

– Laissez approcher ce vieillard, dit doucement saint Janvier, car la grâce de Dieu est avec lui.

Le bourreau s'écarta, et l'aveugle put enfin s'agenouiller devant le saint.

– Que me veux-tu, mon fils? demanda saint Janvier.

– Mon père, je vous prit de me donner un souvenir de vous; je le garderai jusqu'à la fin de mes jours, et cela me portera bonheur dans cette vie et dans l'autre.

– Cet homme est fou! dit le bourreau avec un sourire de mépris. Comment! lui dit-il, ne sais-tu pas qu'il n'a plus rien à lui? Tu demandes l'aumône à un homme qui va mourir!

– Cela n'est pas bien sûr, dit le vieillard en secouant la tête, ce n'est pas la première fois qu'il vous échappe.

– Sois tranquille, répondit le bourreau, cette fois il aura affaire à moi.

– Serait-il vrai, mon père? vous qui avez triomphé du feu, de la torture et des animaux féroces, vous laisserez-vous tuer par cet homme?

– Mon heure est venue, répondit le martyr avec joie; mon exil est fini, il est temps que je retourne dans ma patrie. Écoute, mon fils, interrompit saint Janvier, il ne me reste plus que le linge avec lequel on doit me bander les yeux à mon dernier moment: je te le laisserai après ma mort.

– Et comment irai-je le chercher? dit le vieillard, les soldats ne me laisseront pas approcher de vous.

– Eh bien! répondit saint Janvier, je te l'apporterai moi-même.

– Merci, mon père.

– Adieu, mon fils.

L'aveugle s'éloigna et le cortége reprit sa marche. Arrivé au forum de Vulcano, les trois saints s'agenouillèrent, et saint Janvier, d'une voix ferme et sonore, prononça ces paroles:

– Dieu de miséricorde et de justice, puisse enfin le sang que nous allons verser calmer votre colère et faire cesser les persécutions des tyrans contre votre sainte Église!

Puis il se leva, et après avoir embrassé tendrement ses deux compagnons de martyre, il fit signe au bourreau de commencer son oeuvre de sang. Le bourreau trancha d'abord les têtes de Proculus et de Sosius, qui moururent courageusement en chantant les louanges du Seigneur. Mais comme il s'approchait de saint Janvier, un tremblement convulsif le saisit tout à coup, et l'épée lui tomba des mains sans qu'il eût la force de se courber pour la ramasser.

Alors saint Janvier se banda lui-même les yeux; puis, portant la main à son cou:

– Eh bien! dit-il au bourreau, qu'attends-tu, mon frère?

– Je ne pourrai jamais relever cette épée, dit le bourreau, si tu ne m'en donnes pas la permission.

– Non seulement je te le permets, frère, mais je t'en prie.

A ces mots, le bourreau sentit que les forces lui revenaient, et levant l'épée à deux mains il en frappa le saint avec tant de vigueur, que non seulement la tête, mais un doigt aussi furent emportés du même coup.

Quant à la prière que saint Janvier avait adressée à Dieu avant de mourir, elle fut sans doute agréée par le Seigneur, car, la même année, Constantin, s'échappant de Rome, alla trouver son père et fut nommé par lui son héritier et son successeur dans l'empire. Si donc tout effet doit se reporter à sa cause, c'est de la mort de saint Janvier et de ses deux diacres Proculus et Sosius que date le triomphe de l'Église.

Après l'exécution, comme les soldats et le bourreau s'acheminaient vers la maison de Timothée pour lui rendre compte de la mort de son ennemi et de ses deux compagnons, ils rencontrèrent le mendiant à la même place où ils l'avaient laissé. Les soldats s'arrêtèrent pour s'amuser un peu aux dépens du vieillard, et le bourreau lui demanda en ricanant:

– Eh bien! l'aveugle, as-tu reçu le souvenir qu'on t'avait promis?

– O impie que vous êtes! s'écria le vieillard en ouvrant les yeux brusquement et fixant sur tous ceux qui l'entouraient un regard clair et limpide, non seulement j'ai reçu le bandeau des mains du saint lui-même, qui vient de m'apparaître tout à l'heure, mais en appliquant ce bandeau sur mes yeux j'ai recouvré la vue, moi qui étais aveugle de naissance. Et maintenant, malheur à toi qui as osé porter la main sur le martyr du Christ! malheur à celui qui a ordonné sa mort! malheur à tous ceux qui s'en sont rendus complices! malheur à vous, malheur!

Les soldats se hâtèrent de quitter le vieillard, et le bourreau les devançait pour avoir la gloire de faire le premier son rapport au tyran. Mais la maison du proconsul était vide et déserte, les esclaves l'avaient pillée, les femmes l'avaient abandonnée avec horreur. Tout le monde s'éloignait de ce lieu de désolation, comme si la main de Dieu l'eût marqué d'un signe maudit. Le bourreau et son escorte, ne comprenant rien à ce qui se passait, résolurent d'avancer hardiment; mais au premier pas qu'ils firent dans l'intérieur de la maison, ils tombèrent raides morts. Timothée n'était plus qu'un cadavre informe et pourri, et les émanations pestilentielles qui s'exhalaient de son corps avaient suffi pour asphyxier d'un seul coup les misérables complices de ses iniquités.

Cependant, dès que la nuit fut venue, le mendiant s'en alla au forum de Vulcano pour recueillir les restes sacrés du saint évêque. La lune, qui venait de se lever, répandit sa lumière argentée sur la plaine jaunâtre de la Solfatare, de telle sorte qu'on pouvait distinguer le moindre objet dans tous ses détails.

Comme le vieillard marchait lentement et regardait autour de lui pour voir s'il n'était pas suivi par quelque espion, il aperçut à l'autre bout du forum une vieille femme à peu près de son âge qui s'avançait avec les mêmes précautions.

– Bonjour, mon frère, dit la femme.

– Bonjour, ma soeur, répondit le vieillard.

– Qui êtes-vous, mon frère?

– Je suis un ami de saint Janvier. Et vous, ma soeur?

– Moi, je suis sa parente.

– De quel pays êtes-vous?

– De Naples. Et vous?

– De Pouzzoles.

– Puis-je savoir quel motif vous amène ici à cette heure?

– Je vous le dirai quand vous m'aurez expliqué le but de votre voyage nocturne.

– Je viens pour recueillir le sang de saint Janvier.

– Et moi je viens pour enterrer son corps.

– Et qui vous a chargé de remplir ce devoir, qui n'appartient d'ordinaire qu'aux parens du défunt?

– C'est saint Janvier lui-même, qui m'est apparu peu d'instans après sa mort.

– Quelle heure pouvait-il être lorsque le saint vous est apparu?

– A peu près la troisième heure du jour.

 

– Cela m'étonne, mon frère, car à la même heure il est venu me voir, et m'a ordonné de me rendre ici à la nuit tombante.

– Il y a miracle, ma soeur, il y a miracle. Écoutez-moi, et je vous raconterai ce que le saint a fait en ma faveur.

– Je vous écoute, puis je vous raconterai à mon tour ce qu'il a fait en la mienne; car, ainsi que vous le dites, il y a miracle, mon frère, il y a miracle.

– Sachez d'abord que j'étais aveugle.

– Et moi percluse.

– Il a commencé par me rendre la vue.

– Il m'a rendu l'usage des jambes.

– J'étais mendiant.

– J'étais mendiante.

– Il m'a assuré que je ne manquerai de rien jusqu'à la fin de mes jours.

– Il m'a promis que je ne souffrirai plus ici bas.

– J'ai osé lui demander un souvenir de son affection.

– Je l'ai prié de me donner un gage de son amitié.

– Voici le même linge qui a servi à bander ses yeux au moment de sa mort.

– Voici les deux fioles qui ont servi à célébrer sa dernière messe.

– Soyez bénie, ma soeur, car je vois bien maintenant que vous êtes sa parente.

– Soyez béni, mon frère, car je ne doute plus que vous étiez son ami.

– A propos, j'oubliais une chose.

– Laquelle, mon frère?

– Il m'a recommandé de chercher un doigt qui a dû lui être coupé en même temps que sa tête, et de le réunir à ses saintes reliques.

– Il m'a bien dit de même que je trouverai dans son sang un petit fétu de paille, et m'a ordonné de le garder avec soin dans la plus petite des deux fioles.

– Cherchons.

– Cela ne doit pas être bien loin.

– Heureusement la lune nous éclaire.

– C'est encore un bienfait du saint, car depuis un mois le ciel était couvert de nuages.

– Voici le doigt que je cherchais.

– Voici le fétu dont il m'a parlé.

Et tandis que le vieillard de Pouzzoles plaçait dans un coffre le corps et la tête du martyr, la vieille femme napolitaine, agenouillée pieusement, recueillait avec une éponge jusqu'à la dernière goutte de son sang précieux, et en remplissait les deux fioles que le saint lui avait données lui-même à cet effet.

C'est ce même sang qui, depuis quinze siècles, se met en ébullition toutes les fois qu'on le rapproche de la tête du saint, et c'est dans cette ébullition prodigieuse et inexplicable que consiste le miracle de saint Janvier.

Voilà ce que Dieu fit de saint Janvier; maintenant voyons ce qu'en firent les hommes.

XXI
Saint Janvier et sa Cour

Nous ne suivrons pas les reliques de saint Janvier dans les différentes pérégrinations qu'elles ont accomplies, et qui les conduisirent de Pouzzoles à Naples, de Naples à Bénévent, et les ramenèrent enfin de Bénévent à Naples: cette narration nous entraînerait à l'histoire du moyen-âge tout entière, et on a tant abusé de cette intéressante époque qu'elle commence singulièrement à passer de mode.

C'est depuis le commencement du seizième siècle seulement que saint Janvier a un domicile fixe et inamovible, dont il ne sort que deux fois l'an pour aller faire son miracle à la cathédrale de Sainte-Claire. Deux ou trois fois par hasard on dérange bien encore le saint, mais il faut de ces grandes circonstances qui remuent un empire pour le faire sortir de ses habitudes sédentaires; et chacune de ces sorties devient un événement dont le souvenir se perpétue et grandit, par tradition orale, dans la mémoire du peuple napolitain.

C'est à l'archevêché et dans la chapelle du Trésor que, tout le reste de l'année, demeure saint Janvier. Cette chapelle fut bâtie par les nobles et les bourgeois napolitains: c'est le résultat d'un voeu qu'ils firent simultanément en 1527, épouvantés qu'ils étaient par la peste qui désola cette année la très fidèle ville de Naples. La peste cessa, grâce à l'intercession du saint, et la chapelle fut bâtie comme un signe de la reconnaissance publique.

A l'opposé des votans ordinaires qui, lorsque le danger est passé, oublient le plus souvent le saint auquel il se sont voués, les Napolitains mirent une telle conscience à remplir vis-à-vis de leur patron l'engagement pris, que dona Catherine de Sandoval, femme du vieux comte de Lemos, vice-roi de Naples, leur ayant offert de contribuer de son côté pour une somme de trente mille ducats à la confection de la chapelle, ils refusèrent cette somme, déclarant qu'ils ne voulaient partager avec aucun étranger, cet étranger fût-il leur vice-roi ou leur vice-reine, l'honneur de loger dignement leur saint protecteur.

Or, comme ni l'argent ni le zèle ne manqua, la chapelle fut bientôt bâtie; il est vrai que, pour se maintenir mutuellement en bonne volonté, nobles et bourgeois avaient passé une obligation, laquelle existe encore, devant maître Vicenzio di Bossis, notaire public; cette obligation porte la date du 13 janvier 1527: ceux qui y ont signé s'engagent à fournir pour les frais du bâtiment la somme de 13,000 ducats; mais il parait qu'à partir de cette époque il fallait déjà commencer à se défier des devis des architectes: la porte seule couta 135,000 francs, c'est-à-dire une somme triple de celle qui était allouée pour les frais généraux de la chapelle.

La chapelle terminée, on décida qu'on appellerait, pour l'orner de fresques représentant les principales actions de la vie du saint, les premiers peintres du monde. Malheureusement cette décision ne fut pas approuvée par les peintres napolitains, qui décidèrent à leur tour que la chapelle ne serait ornée que par des artistes indigènes, et qui jurèrent que tout rival qui répondrait à l'appel fait à son pinceau s'en repentirait cruellement.

Soit qu'ils ignorassent ce serment, soit qu'ils ne crussent pas à son exécution, le Dominiquin, le Guide et le chevalier d'Arpino accoururent; mais le chevalier d'Arpino fut obligé de fuir avant même d'avoir mis le pinceau à la main; le Guide, après deux tentatives d'assassinat, auxquelles il n'échappa que par miracle, quitta Naples à son tour: le Dominiquin seul, fait aux persécutions par les persécutions qu'il avait déjà éprouvées, las d'une vie que ses rivaux lui avaient rendue si triste et si douloureuse, n'écouta ni insultes ni menaces, et continua de peindre. Il fit successivement la Femme guérissant une foule de malades avec l'huile de la lampe qui brûle devant saint Janvier, la Résurrection d'un jeune homme, et la coupole, lorsqu'un jour il se trouva mal sur son échafaud: on le rapporta chez lui, il était empoisonné.

Alors les peintres napolitains se crurent délivrés de toute concurrence; mais il n'en était point ainsi: un matin, ils virent arriver Gessi, qui venait avec deux de ses élèves pour remplacer le Guide son maître; huit jours après, les deux élèves, attirés sur une galère, avaient disparu, sans que jamais plus depuis on entendît reparler d'eux; alors Gessi abandonné perdit courage et se retira à son tour; et l'Espagnolet, Corenzio, Lafranco et Stanzoni se trouvèrent maîtres à eux seuls de ce trésor de gloire et d'avenir, à la possession duquel ils étaient arrivés par des crimes.

Ce fut alors que l'Espagnolet peignit son Saint sortant de la fournaise, composition titanesque; Stanzoni, la Possédée délivrée par le saint; et enfin Lafranco, la coupole, à laquelle il refusa de mettre la main tant que les fresques commencées par le Dominiquin aux angles des voûtes ne seraient pas entièrement effacées.

Ce fut à cette chapelle, où l'art avait eu ses martyrs, que les reliques du saint furent confiées.

Ces reliques se conservent dans une niche placée derrière le maître-autel; cette niche est séparée par un compartiment de marbre, afin que la tête du saint ne puisse regarder son sang, événement qui pourrait faire arriver le miracle avant l'époque fixée, puisque c'est par le contact de la tête et des fioles que le sang figé se liquéfie. Enfin elle est close par deux portes d'argent massif sculptées aux armes du roi d'Espagne Charles II.

Ces portes sont fermées elles-mêmes par deux clés dont l'une est gardée par l'archevêque, et l'autre par une compagnie tirée au sort parmi les nobles, et qu'on appelle les députés du Trésor. On voit que saint Janvier jouit tout juste de la liberté accordée aux doges, qui ne pouvaient jamais dépasser l'enceinte de la ville, et qui ne sortaient de leur palais qu'avec la permission du sénat. Si cette réclusion a ses inconvéniens, elle a bien aussi ses avantages: saint Janvier y gagne à n'être pas dérangé à toute heure du jour et de la nuit comme un médecin de village: aussi ceux qui le gardent connaissent bien la supériorité de leur position sur leurs confrères les gardiens des autres saints.

Un jour que le Vésuve faisait des siennes, et que la lave, après avoir dévoré Torre del Greco, s'acheminait tout doucement vers Naples, il y eut émeute: les lazzaroni, qui cependant avaient le moins à perdre dans tout cela se portèrent à l'archevêché, et commencèrent à crier pour qu'on sortît le buste de saint Janvier et qu'on le portât à l'encontre de l'inondation de flammes. Mais ce n'était pas chose facile que de leur accorder ce qu'ils demandaient: saint Janvier était sous double clé, et une de ces deux clés était entre les mains de l'archevêque, pour le moment en course dans la Basilicate, tandis que l'autre était entre les mains des députés, qui, occupés à déménager ce qu'ils avaient de plus précieux, couraient l'un d'un côté, l'autre de l'autre.

Heureusement le chanoine de garde était un gaillard qui avait le sentiment de la position aristocratique que son saint Janvier occupait au ciel et sur la terre: il monta sur le balcon de l'archevêché qui dominait toute la place encombrée de monde; il fit signe de la main qu'il voulait parler, et, balançant la tête de haut en bas, en homme étonné de l'audace de ceux à qui il avait affaire:

– Vous me paraissez encore de plaisans drôles, dit-il, de venir ici crier saint Janvier comme vous viendriez crier saint Crépin ou saint Fiacre. Apprenez que saint Janvier est un monsieur qui ne se dérange pas ainsi pour le premier venu.

– Tiens, dit une voix dans la foule, Jésus-Christ se dérange bien pour le premier venu; quand je demande le bon Dieu, est-ce qu'on me le refuse?

– Voilà justement où je vous attendais, reprit le chanoine: de qui est fils Jésus-Christ, s'il vous plaît? D'un charpentier et d'une pauvre fille comme vous et moi pourrions être; tandis que saint Janvier, c'est bien autre chose. Saint Janvier est fils d'un sénateur et d'une patricienne; c'est donc, vous le voyez, un bien autre personnage que Jésus-Christ. Allez donc chercher le bon Dieu si vous voulez; mais quant à saint Janvier, c'est moi qui vous le dis, vous aurez beau vous réunir dix fois plus nombreux que vous n'êtes, et crier quatre fois davantage, il ne se dérangera pas, car il a le droit de ne pas se déranger.

– C'est juste, dit la foule: allons chercher le bon Dieu.

Et l'on alla chercher le bon Dieu, qui, moins aristocrate que saint Janvier, sortit de l'église de Sainte-Claire, et s'en vint suivi de son cortége populaire au lieu que réclamait sa miséricordieuse présence.

En effet, comme le disait le bon chanoine, saint Janvier est un saint aristocrate: il a un cortége de saints inférieurs qui reconnaissent sa suprématie, à peu près comme les cliens romains reconnaissaient celle de leurs maîtres: ces saints le suivent quand il sort, le saluent quand il passe, l'attendent quand il rentre: ce sont les patrons secondaires de la ville de Naples.

Voici comment se recrute cette armée de saints courtisans.

Toute confrérie, tout ordre religieux, toute paroisse, tout particulier même qui tient à faire déclarer un saint de ses amis patron de Naples, sous la présidence de saint Janvier bien entendu, n'a qu'à faire fondre une statue d'argent massif du prix de 6 à 8,000 ducats, et l'offrir à la chapelle du Trésor. La statue, une fois admise, est retenue à perpétuité dans la susdite chapelle: à partir de ce moment, elle jouit de toutes les prérogatives de sa présentation en règle. Comme les saints, qui au ciel glorifient éternellement Dieu autour duquel ils forment un choeur, eux glorifient éternellement saint Janvier. En échange de cette béatitude qui leur est accordée, ils sont condamnés à la même réclusion que saint Janvier; ceux même qui en ont fait don à la chapelle ne peuvent plus les tirer de leur sainte prison qu'en déposant entre les mains d'un notaire du saint le double de la valeur de la statue à laquelle, soit pour son plaisir particulier, soit dans l'intérêt général, on désire faire voir le jour. La somme déposée, le saint sort pour un temps plus ou moins long. Le saint rentré, son identité constatée, le propriétaire, muni de son reçu, va retirer la somme. De cette façon, on est sûr que les saints ne s'égareront pas, et que, s'ils s'égarent, ils ne seront pas du moins perdus, puisque avec l'argent déposé on en pourra faire fondre deux au lieu d'un.

 

Cette mesure, qui paraît arbitraire au premier abord, n'a été prise, il faut le dire, qu'après que le chapitre de saint Janvier eut été dupe de sa trop grande confiance: la statue de san Gaëtano, sortie sans dépôt, non seulement ne rentra pas au jour dit, mais encore ne rentra jamais. On eut beau essayer de charger le saint lui-même, et prétendre qu'ayant toujours été assez médiocrement affectionné à saint Janvier, il avait profité de la première occasion qui s'était présentée pour faire une fugue; les témoignages les plus respectables vinrent en foule contredire cette calomnieuse assertion, et, recherches faites, il fut reconnu que c'était un cocher de fiacre qui avait détourné la précieuse statue. On se mit à la poursuite du voleur; mais comme il avait eu deux jours devant lui, il avait, selon toute probabilité, passé la frontière; et, si minutieuses que fussent les recherches, elles n'amenèrent aucun résultat. Depuis ce malheureux jour, une tache indélébile s'étendit sur la respectable corporation des cochers de fiacre, qui jusque-là, à Naples, comme en France, avaient disputé aux caniches la suprématie de la fidélité, et qui, à partir de ce moment, n'osèrent plus se faire peindre revenant au domicile de la pratique une bourse à la main. Il y a plus, si vous avez discussion avec le cocher de fiacre, et que vous croyiez que la discussion vaille la peine d'appliquer à votre adversaire une de ces immortelles injures que le sang seul peut effacer, ne jurez ni par la pasque-Dieu, comme jurait Louis XI, ni par ventre-saint-gris, comme jurait Henri IV: jurez tout bonnement par san Gaëtano, et vous verrez votre ennemi attéré tomber à vos pieds pour vous demander excuse, s'il ne se relève pas, au contraire, pour vous donner un coup de couteau.

Comme on le comprend bien, les portes du Trésor sont toujours ouvertes pour recevoir les statues des saints qui désirent faire partie de la cour de saint Janvier, et cela sans aucune investigation de date, sans que le récipiendaire ait besoin de faire ses preuves de 1399 ou de 1426; la seule règle exigée, la seule condition sine qua non, c'est que la statue soit d'argent pur et qu'elle pèse le poids.

Cependant la statue serait d'or et pèserait le double, qu'on ne la refuserait point pour cela; les seuls jésuites, qui, comme on le sait, ne négligent aucun moyen de maintenir ou d'augmenter leur popularité, ont déposé cinq statues au Trésor dans l'espace de moins de trois ans.

Ces détails étaient nécessaires pour nous amener au miracle de saint Janvier, qui depuis plus de mille ans fait tous les six mois tant de bruit, non seulement dans la ville de Naples, mais encore par tout le monde.