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Le Collier de la Reine, Tome II

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Chapitre LIV
Convalescence

Cependant la reine avait marché droit au fauteuil de Charny.

Celui-ci leva la tête au bruit des mules qui criaient sur le parquet.

– La reine! murmura-t-il en essayant de se lever.

– La reine, oui, monsieur, se hâta de dire Marie-Antoinette, la reine qui sait comment vous travaillez à perdre la raison et la vie, la reine que vous offensez dans vos rêves, la reine que vous offensez éveillé, la reine qui a soin de son honneur et de votre sûreté! Voici pourquoi elle vient à vous, monsieur, et ce n'est pas ainsi que vous devriez la recevoir.

Charny s'était levé tremblant, éperdu, puis aux derniers mots il s'était laissé glisser sur ses genoux, tellement écrasé par la douleur physique et la douleur morale, que, courbé ainsi en coupable, il ne voulait ni ne pouvait se relever.

– Est-il possible, continua la reine touchée de ce respect et de ce silence, est-il possible qu'un gentilhomme, renommé autrefois parmi les plus loyaux, s'attache comme un ennemi à la réputation d'une femme? Car notez ceci, monsieur de Charny, dès notre première entrevue, ce n'est pas la reine que vous avez vue et que je vous ai montrée, c'était une femme, et vous n'eussiez jamais dû oublier.

Charny, entraîné par ces paroles sorties du cœur, voulut essayer d'articuler un mot pour sa défense: Marie-Antoinette ne lui en laissa pas le temps.

– Que feront mes ennemis, dit-elle, si vous donnez l'exemple de la trahison?

– La trahison… balbutia Charny.

– Monsieur, voulez-vous choisir? Ou vous êtes un insensé, et je vais vous ôter le moyen de faire le mal; ou vous êtes un traître, et je vais vous punir.

– Madame, ne dites pas que je suis un traître. Dans la bouche des rois cette accusation précède l'arrêt de mort, dans la bouche d'une femme elle déshonore. Reine, tuez-moi; femme, épargnez-moi.

– Êtes-vous dans votre bon sens, monsieur de Charny? dit la reine d'une voix altérée.

– Oui, madame.

– Avez-vous conscience de vos torts envers moi, de votre crime envers… le roi?

– Mon Dieu! murmura l'infortuné.

– Car, vous l'oubliez trop facilement, messieurs les gentilshommes, le roi est l'époux de cette femme que vous insultez tous en levant les yeux sur elle; le roi est le père de votre maître futur, mon dauphin. Le roi, c'est un homme plus grand et meilleur que vous tous, un homme que je vénère et que j'aime.

– Oh! murmura Charny en poussant un sourd gémissement, et pour se soutenir, il fut obligé d'appuyer une de ses mains sur le parquet.

Son cri traversa le cœur de la reine. Elle lut dans le regard éteint du jeune homme qu'il venait d'être frappé à mort, si elle ne tirait promptement de la blessure le trait qu'elle y avait enfoncé.

C'est pourquoi, miséricordieuse et douce, elle s'effraya de la pâleur et de la faiblesse du coupable, et fut près un moment d'appeler au secours.

Mais elle réfléchit que le docteur, qu'Andrée, interpréteraient mal cette pamoison du malade. Elle le releva de ses mains.

– Parlons, dit-elle, moi en reine, vous en homme. Le docteur Louis a essayé de vous guérir; cette blessure, qui n'était rien, empire par les extravagances de votre cerveau. Quand sera-t – elle guérie, cette blessure? Quand cesserez-vous de donner au bon docteur le spectacle scandaleux d'une folie qui l'inquiète? Quand partirez-vous du château?

– Madame, balbutia Charny, Votre Majesté me chasse… Je pars, je pars.

Et il fit un mouvement si violent pour partir, que, lancé hors de son équilibre, il vint tomber en chancelant dans les bras de la reine qui lui barrait le passage.

À peine eut-il senti le contact de cette poitrine brûlante qui le retenait, à peine eut-il plié sous l'étreinte involontaire du bras qui le portait, que sa raison l'abandonna entièrement, sa bouche s'ouvrit pour laisser passer un souffle dévorant qui n'était point une parole et n'osait être un baiser.

La reine elle-même, brûlée par ce contact, fléchie par cette faiblesse, n'eut pas le temps de pousser le corps inanimé sur son fauteuil, et elle voulut s'enfuir; mais la tête de Charny était retombée en arrière. Elle battait le bois du fauteuil, une légère nuance rosée colorait l'écume de ses lèvres, une goutte rose et tiède était tombée de son front sur la main de Marie-Antoinette.

– Oh! tant mieux, murmura-t-il, tant mieux! je meurs tué par vous.

La reine oublia tout. Elle revint, saisit Charny dans ses bras, le releva, pressa sa tête morte sur son sein, appuya une main glacée sur le cœur du jeune homme.

L'amour fit un miracle, Charny ressuscita. Il ouvrit les yeux, la vision disparut. La femme s'épouvantait d'avoir laissé un souvenir là où elle ne croyait donner qu'un dernier adieu.

Elle fit trois pas vers la porte avec une telle précipitation, que Charny eut à peine le temps de saisir le bas de sa robe en s'écriant:

– Madame, au nom de tout le respect que j'ai pour Dieu, moins grand que le respect que j'ai pour vous…

– Adieu! adieu! dit la reine.

– Madame! oh! pardonnez-moi!

– Je vous pardonne, monsieur de Charny.

– Madame, un dernier regard!

– Monsieur de Charny, fit la reine en tremblant d'émotion et de colère, si vous n'êtes pas le dernier des hommes, ce soir, demain vous serez mort ou parti du château.

Une reine prie quand elle commande en ces termes. Charny, joignant les mains avec ivresse, se traîna agenouillé jusqu'aux pieds de Marie-Antoinette.

Celle-ci avait déjà ouvert la porte pour fuir plus vite le danger.

Andrée, dont les yeux dévoraient cette porte depuis le commencement de l'entretien, vit ce jeune homme prosterné, la reine défaillante; elle vit les yeux de celui-ci resplendir d'espoir et d'orgueil, les regards de celle-là pencher éteints vers le sol.

Frappée au cœur, désespérée, gonflée de haine et de mépris, elle ne courba point la tête. Quand elle vit revenir la reine, il lui sembla que Dieu avait trop donné à cette femme, en lui donnant comme superflu un trône et la beauté, puisqu'il venait de lui donner cette demi-heure avec monsieur de Charny.

Le docteur, lui, voyait trop de choses pour en remarquer aucune.

Tout entier au succès de la négociation entamée par la reine, il se contenta de dire:

– Eh bien, madame?

La reine prit une minute pour se remettre et retrouver sa voix étouffée par les battements de son cœur.

– Que fera-t-il? répéta le docteur.

– Il partira, murmura la reine.

Et, sans faire attention à Andrée, qui fronçait le sourcil, et à Louis, qui se frottait les mains, elle traversa d'un pas rapide le corridor de la galerie, s'enveloppa machinalement de sa mante à ruche de dentelle, et rentra dans son appartement.

Andrée serra la main du docteur, qui courait retrouver son malade; puis, d'un pas solennel comme celui d'une ombre, elle retourna dans son logis à elle, la tête baissée, l'œil fixe et la pensée absente.

Elle n'avait pas même songé à demander les ordres de la reine. Pour une nature comme celle d'Andrée, la reine n'est rien: la rivale est tout.

Charny, remis aux soins de Louis, ne parut plus être le même homme que la veille.

Fort jusqu'à l'exagération, hardi jusqu'à la fanfaronnade, il adressa au bon docteur des questions si pressées, si énergiques, au sujet de sa prochaine convalescence, sur le régime à suivre, sur les moyens de transport, que Louis crut à une rechute plus dangereuse, produite par une manie d'un autre ordre.

Charny le détrompa bientôt; il ressemblait à ces fers rougis au feu dont la teinte s'affaiblit à l'œil à mesure que la chaleur diminue d'intensité. Le fer est noir et ne parle plus à la vue, mais il est encore assez brûlant pour dévorer tout ce qu'on lui présentera.

Louis vit le jeune homme reprendre son calme et sa logique des bons jours. Charny fut réellement si raisonnable qu'il se crut obligé d'expliquer au médecin le brusque changement de sa résolution.

– La reine, dit-il, m'a plus guéri en me faisant honte, que votre science, cher docteur, ne l'eût fait avec d'excellents remèdes; me prendre par l'amour-propre, voyez-vous, c'est me dompter comme on dompte un cheval avec un mors.

– Tant mieux, tant mieux, murmurait le docteur.

– Oui, je me souviens qu'un Espagnol, ils sont assez vantards, me disait un jour pour me prouver sa force de volonté, qu'il lui avait suffi, dans un duel où il était blessé, de vouloir retenir son sang, pour que le sang ne coulât pas et ne réjouît pas l'œil de l'adversaire. J'ai ri de cet Espagnol, cependant je suis un peu comme lui; si ma fièvre, si ce délire que vous me reprochez voulaient reparaître, je les chasserais, je gage, en disant: délire et fièvre, vous ne reparaîtrez plus.

– Nous avons des exemples de ce phénomène, dit gravement le docteur. Toutefois, permettez-moi de vous féliciter. Vous voilà guéri moralement?

– Oh! oui.

– Eh bien! vous ne tarderez pas à voir tout le rapport qu'il y a entre le moral et le physique de l'homme. C'est une belle théorie que je rédigerais en livre si j'avais le temps. Sain d'esprit, vous serez sain de corps en huit jours.

– Cher docteur, merci.

– Et pour commencer vous allez donc partir?

– Quand il vous plaira. Tout de suite.

– Attendons ce soir. Modérons-nous. Procéder par les extrêmes, c'est risquer toujours.

– Attendons au soir, docteur.

– Irez-vous loin?

– Au bout du monde, s'il le faut.

– C'est trop loin pour une première sortie, dit le docteur avec le même flegme. Contentons – nous de Versailles d'abord, hein?

– Versailles soit, puisque vous le voulez.

– Il me semble, dit le docteur, que ce n'est pas une raison pour vous expatrier, que d'être guéri de votre blessure.

Ce sang-froid étudié acheva de mettre Charny sur ses gardes.

– C'est vrai, docteur, j'ai une maison à Versailles.

 

– Eh bien! voilà notre affaire: on vous y portera ce soir.

– C'est que vous ne m'avez pas bien compris, docteur. Je désirais faire un tour dans mes terres.

– Ah! dites donc cela. Vos terres, que diable! mais vos terres ne sont pas au bout du monde.

– Elles sont sur les frontières de Picardie, à quinze ou dix-huit lieues d'ici.

– Vous voyez bien!

Charny serra la main du docteur, comme pour le remercier de toutes ses délicatesses.

Le soir, ces quatre valets qu'il avait si rudement éconduits lors de leur première tentative emportèrent Charny jusqu'à son carrosse, qui l'attendait au guichet des communs.

Le roi, ayant chassé toute la journée, venait de souper et dormait. Charny, un peu préoccupé de partir sans prendre congé, fut pleinement rassuré par le docteur, qui promit d'excuser le départ en le motivant par un besoin de changement.

Charny, avant d'entrer dans son carrosse, se donna la douloureuse satisfaction de regarder jusqu'au dernier moment les fenêtres de l'appartement de la reine. Nul ne pouvait le voir. Un des laquais, portant un flambeau à la main, éclairait le chemin, sans éclairer la physionomie.

Charny ne rencontra sur les degrés que plusieurs officiers, ses amis, prévenus assez à temps pour que le départ n'eût pas l'air d'une fuite.

Escorté jusqu'au carrosse par ces joyeux compagnons, Charny put permettre à ses yeux d'errer sur les fenêtres: celles de la reine resplendissaient de lumière. Sa Majesté, un peu souffrante, avait reçu les dames dans sa chambre à coucher.

Celles d'Andrée, mornes et noires, cachaient derrière le pli des rideaux de damas une femme tout anxieuse, toute palpitante, qui suivait sans être aperçue jusqu'au mouvement du malade et de son escorte.

Le carrosse partit enfin, mais si lentement qu'on entendait chaque fer des chevaux sur le pavé sonore.

– S'il n'est pas à moi, murmura Andrée, il n'est plus à personne, du moins.

– S'il lui reprend des envies de mourir, dit le docteur en entrant chez lui, au moins ne mourra-t-il ni chez moi ni dans mes mains. Diantre soit des maladies de l'âme! On n'est pas le médecin d'Antiochus et de Stratonice pour guérir ces maladies-là.

Charny arriva sain et sauf à sa maison. Le docteur lui vint rendre visite le soir, et le trouva si bien, qu'il se hâta d'annoncer que ce serait la dernière visite qu'il lui ferait.

Le malade soupa d'un blanc de poulet et d'une cuillerée de confitures d'Orléans.

Le lendemain, il reçut la visite de son oncle, monsieur de Suffren, la visite de monsieur de La Fayette, celle d'un envoyé du roi. Il en fut à peu près de même le surlendemain, et puis on ne s'occupa plus de lui.

Il se levait et marchait dans son jardin.

Au bout de huit jours, il pouvait monter un cheval de paisible allure; ses forces étaient revenues. Sa maison n'étant pas encore assez délaissée, il demanda au médecin de son oncle et fit demander au docteur Louis l'autorisation de partir pour ses terres.

Louis répondit de confiance que la locomotion était le dernier degré de la médication des blessures; que monsieur de Charny avait une bonne chaise, et que la route de Picardie était unie comme un miroir, et que demeurer à Versailles, quand on pouvait si bien et si heureusement voyager, serait folie.

Charny fit charger un gros fourgon de bagages; il offrit ses adieux au roi, qui le combla de bontés, pria monsieur de Suffren de présenter ses respects à la reine, ce soir-là malade, et qui ne recevait pas. Puis, montant dans sa chaise à la porte même du château royal, il partit pour la petite ville de Villers-Cotterêts, d'où il devait gagner le château de Boursonnes, situé à une lieue de cette petite ville qu'illustraient déjà les premières poésies de Demoustier.

Chapitre LV
Deux cœurs saignants

Le lendemain du jour où la reine avait été surprise par Andrée fuyant Charny, agenouillé devant elle, mademoiselle de Taverney entra suivant son habitude dans la chambre royale, à l'heure de la petite toilette, avant la messe.

La reine n'avait pas encore reçu de visite. Elle venait seulement de lire un billet de madame de La Motte, et son humeur était riante.

Andrée, plus pâle encore que la veille, avait dans toute sa personne ce sérieux et cette froide réserve qui appelle l'attention, et force les plus grands à compter avec les plus petits.

Simple, austère pour ainsi dire dans sa toilette, Andrée ressemblait à une messagère de malheur, ce malheur fût-il pour elle ou pour d'autres.

La reine était dans ses jours de distractions; aussi ne prit-elle point garde à cette démarche lente et grave d'Andrée, à ses yeux rougis, à la blancheur de ses tempes et de ses mains.

Elle tourna la tête tout juste autant qu'il fallait pour faire entendre son salut amical.

– Bonjour, petite.

Andrée attendit que la reine lui donnât une occasion de partir. Elle attendit, bien sûre que son silence, que son immobilité, finiraient par attirer les yeux de Marie-Antoinette.

Ce fut ce qui arriva. Ne recevant point de réponse autre qu'une grande révérence, la reine se tourna, et obliquement, aperçut ce visage frappé de douleur et de rigidité.

– Mon Dieu! qu'y a-t-il, Andrée? fit-elle en se retournant tout à fait; est-ce qu'il t'arrive malheur?

– Un grand malheur, oui, madame, répondit la jeune femme.

– Quoi donc?

– Je vais quitter Votre Majesté.

– Me quitter! Tu pars?

– Oui, madame.

– Où vas-tu donc? Quelle cause peut avoir ce départ précipité?

– Madame, je ne suis pas heureuse dans mes affections…

La reine leva la tête.

– De famille, ajouta Andrée en rougissant.

La reine rougit à son tour, et l'éclair de leurs deux regards se croisa en brillant comme un choc d'épées.

La reine se remit la première.

– Je ne vous comprends pas bien, dit-elle; vous étiez heureuse, hier, ce me semble?

– Non, madame, répondit fermement Andrée; hier fut encore un des jours infortunés de ma vie.

– Ah! fit la reine devenue rêveuse.

Et elle ajouta:

– Expliquez-vous.

– Il faudrait me résigner à fatiguer Votre Majesté de détails au-dessous d'elle. Je n'ai aucune satisfaction dans ma famille; je n'ai rien à attendre des biens de la terre, et je viens demander un congé à Votre Majesté pour m'occuper de mon salut.

La reine se leva, et bien que cette demande parût coûter à son orgueil, elle vint prendre la main d'Andrée.

– Que signifie cette résolution de mauvaise tête? dit-elle; n'aviez vous pas hier un frère, un père, comme aujourd'hui? Étaient-ils moins gênants et moins nuisibles qu'aujourd'hui? Me croyez-vous capable de vous laisser dans l'embarras, et ne suis-je plus la mère de famille qui rend une famille à ceux qui n'en ont pas?

Andrée se mit à trembler comme une coupable, et, s'inclinant devant la reine, elle dit:

– Madame, votre bonté me pénètre, mais elle ne me dissuadera pas. J'ai résolu de quitter la cour, j'ai besoin de rentrer dans la solitude, ne m'exposez pas à trahir mes devoirs envers vous par le manque de vocation que je me sens.

– Depuis hier alors?

– Veuille Votre Majesté ne pas m'ordonner de parler sur ce sujet.

– Soyez libre, fit la reine avec amertume, seulement je mettais assez de confiance avec vous pour que vous en missiez avec moi. Mais à celui qui ne veut pas parler, folle qui demande une parole. Gardez vos secrets, mademoiselle; soyez plus heureuse au loin que vous n'avez été ici. Souvenez-vous d'une seule chose, c'est que mon amitié ne délaisse pas les gens malgré leurs caprices, et que vous ne cesserez pas d'être pour moi une amie. Maintenant, Andrée, allez, vous êtes libre.

Andrée fit une révérence de cour et sortit. À la porte, la reine la rappela.

– Où allez-vous, Andrée?

– À l'abbaye de Saint-Denis, madame, répondit mademoiselle de Taverney.

– Au couvent! oh! c'est bien, mademoiselle, vous n'avez peut-être rien à vous reprocher; mais n'eussiez-vous que l'ingratitude et l'oubli, c'est trop encore! Vous êtes assez coupable envers moi; allez, mademoiselle de Taverney; allez.

Il résulta de là que, sans donner d'autres explications sur lesquelles comptait le bon cœur de la reine, sans s'humilier, sans s'attendrir, Andrée prit au bond la permission de la reine et disparut.

Marie-Antoinette put s'apercevoir et s'aperçut que mademoiselle de Taverney quittait sur-le-champ le château.

En effet, elle se rendait dans la maison de son père, où, selon qu'elle s'y attendait, elle trouva Philippe au jardin. Le frère rêvait; la sœur agissait.

À l'aspect d'Andrée, que son service devait à une pareille heure retenir au château, Philippe s'avança surpris, presque effrayé.

Effrayé surtout de cette sombre mine, lui que sa sœur n'abordait jamais qu'avec un sourire d'amitié tendre, il commença comme avait fait la reine: il questionna.

Andrée lui annonça qu'elle venait de quitter le service de la reine; que son congé était accepté, qu'elle allait entrer au couvent.

Philippe frappa dans ses mains avec force, comme un homme qui reçoit un coup inattendu.

– Quoi! dit-il, vous aussi, ma sœur?

– Quoi! moi aussi? Que voulez-vous dire?

– C'est donc un contact maudit pour notre famille que celui des Bourbons? s'écria-t-il; vous vous croyez forcée de faire des vœux! vous! religieuse par goût, par âme; vous, la moins mondaine des femmes et la moins capable d'obéissance éternelle aux lois de l'ascétisme! Voyons, que reprochez-vous à la reine?

– On n'a rien à reprocher à la reine, Philippe, répondit froidement la jeune femme; vous qui avez tant compté sur la faveur des cours; vous qui, plus que personne, y dûtes compter, pourquoi n'avez-vous pu demeurer? Pourquoi n'y restâtes-vous pas trois jours? Moi, j'y suis restée trois ans.

– La reine est capricieuse parfois, Andrée.

– Si cela est, Philippe, vous pouviez le souffrir, vous, un homme; moi, femme, je ne le dois pas, je ne le veux pas; si elle a des caprices, eh bien! ses servantes sont là.

– Cela, ma sœur, fit le jeune homme avec contrainte, ne m'apprend pas comment vous avez eu des démêlés avec la reine.

– Aucun, je vous jure; en eûtes-vous, Philippe, vous qui l'avez quittée? Oh! elle est ingrate, cette femme!

– Il lui faut pardonner, Andrée. La flatterie l'a un peu gâtée, elle est bonne au fond.

– Témoin ce qu'elle a fait pour vous, Philippe.

– Qu'a-t-elle fait?

– Vous l'avez oublié déjà? Oh! moi, j'ai meilleure mémoire. Aussi dans un seul et même jour, avec une seule et même résolution, je paie votre dette et la mienne, Philippe.

– Trop cher, ce me semble, Andrée; ce n'est pas à votre âge, avec votre beauté, qu'on renonce au monde. Prenez garde, chère amie, vous le quittez jeune, vous le regretterez vieille, et, quand il ne sera plus temps, vous y rentrerez alors, désobligeant tous vos amis, dont une folie vous aura séparée.

– Vous ne raisonniez pas ainsi, vous, un brave officier tout pétri d'honneur et de sentiment, mais peu soucieux de sa renommée ou de sa fortune, que là où cent autres ont amassé titres et or vous n'avez su faire que des dettes et vous amoindrir, vous ne raisonniez pas ainsi quand vous me disiez: elle est capricieuse, Andrée, elle est coquette, elle est perfide; j'aime mieux ne la point servir. Comme pratique de cette théorie, vous avez renoncé au monde, quoique vous ne vous soyez pas fait religieux, et de nous deux, celui qui est le plus près des vœux irrévocables, ce n'est pas moi qui vais les faire, c'est vous qui les avez déjà faits.

– Vous avez raison, ma sœur, et sans notre père…

– Notre père! ah! Philippe ne parlez pas ainsi, reprit Andrée avec amertume, un père ne doit il pas être le soutien de ses enfants ou accepter leur appui? C'est à ces conditions seulement qu'il est le père. Que fait le nôtre, je vous le demande? Avez-vous jamais eu l'idée de confier un secret à monsieur de Taverney? Et le croyez-vous capable de vous appeler pour vous dire un de ses secrets à lui! Non, continua Andrée avec une expression de chagrin, non, monsieur de Taverney est fait pour vivre seul en ce monde.

– Je le veux bien, Andrée, mais il n'est pas fait pour mourir seul.

Ces mots, dits avec une sévérité douce, rappelaient à la jeune femme qu'elle laissait à ses colères, à ses aigreurs, à ses rancunes contre le monde, une trop grande place dans son cœur.

– Je ne voudrais pas, répondit-elle, que vous me prissiez pour une fille sans entrailles; vous savez si je suis une sœur tendre; mais ici-bas chacun a voulu tuer en moi l'instinct sympathique qui lui correspondait. Dieu m'avait donné en naissant, comme à toute créature, une âme et un corps; de cette âme et de ce corps toute créature humaine peut disposer, pour son bonheur, en ce monde et dans l'autre. Un homme que je ne connaissais pas à pris mon âme, Balsamo. Un homme que je connaissais à peine, et qui n'était pas un homme pour moi, a pris mon corps, Gilbert. Je vous le répète, Philippe, pour être une bonne et pieuse fille, il ne me manque qu'un père. Passons à vous, examinons ce que vous a rapporté le service des grands de la terre, à vous qui les aimiez.

 

Philippe baissa la tête.

– Épargnez-moi, dit-il; les grands de la terre n'étaient pour moi que des créatures semblables à moi; je les aimais; Dieu nous a dit de nous aimer les uns les autres.

– Oh! Philippe, dit-elle, il n'arrive jamais sur cette terre que le cœur aimant réponde directement à qui l'aime; ceux que nous avons choisis en choisissent d'autres.

Philippe leva son front pâle et considéra longtemps sa sœur, sans autre expression que celle de l'étonnement.

– Pourquoi me dites-vous cela? Où voulez-vous en venir? demanda-t-il.

– À rien, à rien, répondit généreusement Andrée, qui recula devant l'idée de descendre à des rapports ou à des confidences. Je suis frappée, mon frère. Je crois que ma raison souffre; ne donnez à mes paroles aucune attention.

– Cependant…

Andrée s'approcha de Philippe et lui prit la main.

– Assez sur ce sujet, mon bien-aimé frère. Je suis venue vous prier de me conduire à un couvent: j'ai choisi Saint-Denis; je n'y veux pas faire de vœux, soyez tranquille. Cela viendra plus tard, s'il est nécessaire. Au lieu de chercher dans un asile ce que la plupart des femmes y veulent trouver, l'oubli, moi j'y vais demander la mémoire. Il me semble que j'ai trop oublié le Seigneur. Il est le seul roi, le seul maître, l'unique consolation, comme l'unique réel afflicteur. En me rapprochant de lui, aujourd'hui que je le comprends, j'aurai plus fait pour mon bonheur que si tout ce qu'il y a de riche, de fort, de puissant et d'aimable dans ce monde avait conspiré pour me faire une vie heureuse. À la solitude, mon frère, à la solitude, ce vestibule de la béatitude éternelle!.. Dans la solitude, Dieu parle au cœur de l'homme; dans la solitude, l'homme parle au cœur de Dieu.

Philippe arrêta Andrée du geste.

– Souvenez-vous, dit-il, que je m'oppose moralement à ce dessein désespéré: vous ne m'avez pas fait juge des causes de votre désespoir.

– Désespoir! fit-elle avec un souverain mépris, vous dites désespoir! Ah! Dieu merci! je ne pars point désespérée, moi! Regretter avec désespoir! Non! non! mille fois non!

Et d'un mouvement plein d'une fierté sauvage, elle jeta sur ses épaules la mante de soie qui reposait près d'elle sur un fauteuil.

– Cet excès même de dédain manifeste en vous un état qui ne peut durer, reprit Philippe; vous ne voulez pas du mot désespoir, Andrée, acceptez le mot dépit.

– Dépit! répliqua la jeune femme, en modifiant son sourire sardonique par un sourire plein de fierté. Vous ne croyez pas, mon frère, que mademoiselle de Taverney soit si peu forte que de céder sa place en ce monde pour un mouvement de dépit. Le dépit, c'est la faiblesse des coquettes ou des sottes. L'œil qui s'est allumé par le dépit se mouille bientôt de pleurs, et l'incendie est éteint. Je n'ai pas de dépit, Philippe. Je voudrais bien que vous me crussiez, et pour cela, il ne s'agirait que de vous interroger vous-même, quand vous avez quelque grief à formuler. Répondez, Philippe, si demain vous vous retiriez à la Trappe, si vous vous faisiez chartreux, comment appelleriez-vous la cause qui vous aurait poussé à cette résolution?

– J'appellerais cette cause un incurable chagrin, ma sœur, dit Philippe avec la douce majesté du malheur.

– À la bonne heure, Philippe, voilà un mot qui me convient et que j'adopte. Soit, c'est donc un incurable chagrin qui me pousse vers la solitude.

– Bien! répondit Philippe, et le frère et la sœur n'auront pas eu de dissemblance dans leur vie. Heureux bien également, ils auront toujours été malheureux au même degré. Cela fait la bonne famille, Andrée.

Andrée crut que Philippe, emporté par son émotion, lui faisait une question nouvelle, et peut-être son cœur inflexible se fût-il brisé sous l'étreinte de l'amitié fraternelle.

Mais Philippe savait par expérience que les grandes âmes se suffisent à elles seules: il n'inquiéta pas celle d'Andrée dans le retranchement qu'elle s'était choisi.

– À quelle heure et quel jour comptez-vous partir? demanda-t-il.

– Demain; aujourd'hui même, s'il était temps encore.

– Ne ferez-vous pas un dernier tour de promenade avec moi dans le parc?

– Non, dit-elle.

Il comprit bien au serrement de main qui accompagna ce refus que la jeune femme refusait seulement une occasion de se laisser attendrir.

– Je serai prêt quand vous me ferez avertir, répliqua-t-il.

Et il lui baisa la main, sans ajouter un mot, qui eût fait déborder l'amertume de leur cœur.

Andrée, après avoir fait les premiers préparatifs, se retira chez elle où elle reçut ce billet de Philippe:

«Vous pouvez voir notre père à cinq heures ce soir. L'adieu est indispensable. Monsieur de Taverney crierait à l'abandon, aux mauvais procédés.»

Elle répondit:

«À cinq heures, je serai chez monsieur de Taverney en habit de voyage. À sept heures nous pouvons être rendus à Saint-Denis. M'accorderez-vous votre soirée?»

Pour toute réponse, Philippe cria par la fenêtre, assez proche de l'appartement d'Andrée pour qu'Andrée pût l'entendre:

– À cinq heures, les chevaux à la chaise.