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Le Capitaine Aréna — Tome 2

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— Oh! pardon, général, dit-il, j'oubliais le principal; voyons, il est trois heures passées; ce sera pour quatre heures, si vous voulez bien; cinquante-cinq minutes, est-ce trop?

— C'est bien, général, dit Nunziante. Et il fit un mouvement pour sortir en sentant qu'il étouffait.

— Est-ce que je ne vous reverrai pas? dit Murat en l'arrêtant.

— Mes instructions portent que j'assisterai à votre exécution, mais vous m'en dispenserez, n'est-ce pas, général? je n'en aurais pas la force...

C'est bien, c'est bien! enfant que vous êtes, dit Murat; vous me donnerez la main en passant, et ce sera tout.

Le général Nunziante se précipita vers la porte; il sentait lui-même qu'il allait éclater en sanglots. De l'autre côté du seuil, il y avait deux prêtres.

— Que veulent ces hommes? demanda Murat, croient-ils que j'ai besoin de leurs exhortations et que je ne saurai pas mourir?

— Ils demandent à entrer, sire, dit le général, donnant pour la première fois dans son trouble, au prisonnier, le titre réservé à la royauté.

— Qu'ils entrent, qu'ils entrent, dit Murat.

Les deux prêtres entrèrent: l'un d'eux se nommait Francesco Pellegrino, et était l'oncle de ce même Georges Pellegrino qui était cause de la mort de Murat; l'autre s'appelait don Antonio Masdea.

— Maintenant, messieurs, leur dit Murat en faisant un pas vers eux, que voulez-vous? dites vite; on me fusille dans trois quarts d'heure, et je n'ai pas de temps à perdre.

— Général, dit Pellegrino, nous venons vous demander si vous voulez mourir en chrétien?

— Je mourrai en soldat, dit Murat. Allez.

Pellegrino se retira à cette première rebuffade? mais don Antonio Masdea resta. C'était un beau vieillard à la figure respectable, à la démarche grave, aux manières simples. Murat eut d'abord un moment d'impatience en voyant, qu'il ne suivait pas son compagnon; mais, en remarquant l'air de profonde douleur empreinte dans toute sa physionomie, il se contint.

— Eh bien! mon père, lui dit-il, ne m'avez-vous point entendu?

— Vous ne m'avez pas reçu ainsi la première fois que je vous vis, sire; il est vrai qu'à cette époque vous étiez roi, et que je venais vous demander une grâce.

— Au fait, dit Murat, votre figure ne m'est pas inconnue: où vous ai-je donc vu? Aidez ma mémoire.

— Ici même, sire, lorsque vous passâtes au Pizzo en 1810; j'allai vous demander un secours pour achever notre église: je sollicitais 25,000 francs, vous m'en envoyâtes 40,000.

— C'est que je prévoyais que j'y serais enterré, répondit en souriant Murat.

— Eh bien! sire, refuserez-vous à un vieillard la dernière grâce qu'il vous demande?

— Laquelle?

— Celle de mourir en chrétien.

— Vous voulez que je me confesse? eh bien! écoutez: Étant enfant, j'ai désobéi à mes parents qui ne voulaient pas que je me fisse soldat. Voilà la seule chose dont j'aie, à me repentir.

— Mais, sire, voulez-vous me donner une attestation que vous mourez dans la foi catholique?

— Oh! pour cela, sans difficulté, dit Murat; et allant s'asseoir à la table où il avait déjà écrit, il traça le billet suivant:

«Moi, Joachim Murat, je meurs en chrétien, » croyant à la sainte église catholique, » apostolique et romaine.

» JOACHIM MURAT.»

Et il remit le billet au prêtre.

Le prêtre s'éloigna.

— Mon père, lui dit Murat, votre bénédiction.

— Je n'osais pas vous l'offrir de vive voix, mais je vous la donnais de cœur, répondit le prêtre.

Et il imposa les deux mains sur cette tête qui avait porté le diadème.

Murât s'inclina et dit à voix basse quelques paroles qui ressemblaient à une prière; puis il fit signe à don Masdea de le laisser seul. Cette fois le prêtre obéit.

Le temps fixé entre le départ du prêtre et l'heure de l'exécution s'écoula sans qu'on pût dire ce que fit Murat pendant cette demi-heure; sans doute il repassa toute sa vie, à partir du village obscur, et qui après avoir brillé, météore royal, revenait s'éteindre dans un village inconnu. Tout ce que l'on peut dire c'est qu'une partie de ce temps avait été employée à sa toilette, car lorsque le général Nunziante rentra il trouva Murat prêt comme pour une parade; ses cheveux noirs étaient régulièrement séparés sur son front et encadraient sa figure mâle et tranquille; il appuyait la main sur le dossier d'une chaise et dans l'attitude de l'attente.

— Vous êtes de cinq minutes en retard, dit-il, tout est-il prêt.

— Le général Nunziante ne put lui répondre tant il était ému, mais Murat vit bien qu'il était attendu dans la cour; d'ailleurs, en ce moment, le bruit des crosses de plusieurs fusils retentit sur les dalles.

— Adieu, général, adieu! dit Murat, je vous recommande ma lettre à ma chère Caroline.

Puis, voyant que le général cachait sa tête entre ses deux mains, il sortit de la chambre et entra dans la cour. — Mes amis, dit-il aux soldats qui l'attendaient, vous savez que c'est moi qui vais commander le feu; la cour est assez étroite pour que vous tiriez juste: visez à la poitrine, sauvez le visage.

Et il alla se placer à six pas des soldats, presque adossé à un mur et exhaussé sur une marche.

Il y eut un instant de tumulte au moment où il allait commencer de commander le feu; c'étaient les prisonniers correctionnels qui, n'ayant qu'une fenêtre grillée qui donnait sur la cour, se débattaient pour être à cette fenêtre.

L'officier qui commandait le piquet leur imposa silence, et ils se turent.

Alors Murat commanda la charge, froidement, tranquillement, sans hâte ni retard, et comme il eût fait à un simple exercice. Au mot feu, trois coups seulement partirent, Murât resta debout. Parmi les soldats intimidés, six n'avaient pas tiré, trois avaient tiré au-dessus de la tête. C'est alors que ce cœur de lion, qui faisait de Murat un demi-dieu dans la bataille, se montra dans toute sa terrible énergie. Pas un muscle de son visage ne bougea. Pas un mouvement n'indiqua la crainte. Tout homme peut avoir du courage pour mourir une fois: Murat en avait pour mourir deux fois, lui!

— Merci, mes amis, dit-il, merci, du sentiment qui vous a fait m'épargner. Mais, comme il faudra toujours en finir par où vous auriez dû commencer, recommençons, et cette fois pas de grâce, je vous prie.

Et il recommença d'ordonner la charge avec cette même voix calme et sonore, regardant entre chaque commandement le portrait de la reine; enfin le mot feu se fit entendre, immédiatement suivi d'une détonation, et Murat tomba percé de trois balles.

Il était tué roide: une des balles avait traversé le cœur.

On le releva, et en le relevant on trouva dans sa main la montre qu'il n'avait point lâchée, et sur laquelle était le portrait. J'ai vu cette montre à Florence entre les mains de madame Murat, qui l'avait rachetée 2,400 fr.

On porta le corps sur le lit, et, le procès-verbal de l'exécution rédigé, on referma la porte sur lui.

Pendant la nuit, le cadavre fut porté dans l'église par quatre soldats. On le jeta dans la fosse commune, puis, sur lui, plusieurs sacs de chaux; puis on referma la fosse, et l'on scella la pierre qui depuis ce temps ne fut pas rouverte.

Un bruit étrange courut. On assura que les soldats n'avaient porté à l'église qu'un cadavre décapité; s'il faut en croire certaines traditions verbales, la tête fut portée à Naples et remise à Ferdinand, puis conservée dans un bocal rempli d'esprit-de-vin, afin que si quelque aventurier profitait jamais de cette fin isolée et obscure pour essayer de prendre le nom de Joachim on pût lui répondre, en lui montrant la tête de Murat.

Cette tête était conservée dans une armoire placée à la tête du lit de Ferdinand, et dont Ferdinand seul avait la clef; si bien que ce ne fut qu'après la mort du vieux roi que, poussé par la curiosité, son fils François ouvrit cette armoire, et découvrit le secret paternel.

Ainsi mourut Murat, à l'âge de quarante-sept ans, perdu par l'exemple que lui avait donné, six mois auparavant, Napoléon revenant de l'île d'Elbe.

Quant à Barbara, qui avait trahi son roi, qui s'était payé lui-même de sa trahison en emportant les trois millions déposés sur son navire, il demande à cette heure l'aumône dans les cafés de Malte.

Après avoir recueilli de la bouche des témoins oculaires toutes les notes relatives à ce triste sujet, nous commençâmes la visite des localités qui y sont signalées; d'abord, notre première visite fut pour la plage où eut lieu le débarquement. On nous montra au bord de la mer, où on la conserve comme un objet de curiosité, la vieille chaloupe que Murat poussait à la mer quand il fut pris, et dont la carcasse est encore trouée de deux balles.

En avant du petit fortin, nous nous fîmes montrer la place où est enterré Campana; rien ne la désigne à la curiosité des voyageurs; elle est recouverte de sable, comme le reste de la plage.

De la tombe de Campana, nous allâmes mesurer le rocher du sommet duquel le roi et ses deux compagnons avaient sauté. Il a un peu plus de trente-cinq pieds de hauteur.

De là nous revînmes au château; c'est une petite forteresse sans grande importance militaire, à laquelle on monte par un escalier pris entre deux murs; deux portes se ferment pendant la montée. Arrivé à sa dernière marche, on a à sa droite la prison des condamnés correctionnels, à sa gauche l'entrée de la chambre qu'occupa Murat, et derrière soi, dans un rentrant de l'escalier, la place où il fut fusillé. Le mur qui s'élève derrière la marche sur laquelle Murât était monté porte encore la trace de six balles. Trois de ces six balles ont traversé le corps du condamné. Nous entrâmes dans la chambre. Comme toutes les chambres des pauvres gens en Italie, elle se compose de quatre murailles nues, blanchies à la chaux et recouvertes d'une multitude d'images de madones et de saints; en face de la porte était le lit où le roi sua son agonie de soldat. Nous vîmes deux ou trois enfants couchés pêle-mêle sur ce lit. Une vieille femme accroupie, et qui avait peur du choléra, disait son rosaire dans un coin; dans la chambre voisine, où s'était tenue la commission militaire, des soldats chantaient à tue-tête.

 

L'homme qui nous faisait les honneurs de cette triste habitation était le fils de l'ancien concierge; c'était un homme de trente-cinq ou trente-six ans. Il avait vu Murat pendant les cinq jours de sa détention, et se le rappelait à merveille, puisqu'il pouvait avoir à cette époque quinze ou seize ans.

Au reste, aucun souvenir matériel n'était resté de cette grande catastrophe, à l'exception des balles qui trouent le mur.

Je pris à la chambre claire un dessin très-exact de cette cour. Il est difficile de voir quelque chose de plus triste d'aspect que ces murailles blanches, qui se détachent en contours arrêtés sur un ciel d'un bleu d'indigo.

Du château nous nous rendîmes à l'église. La pierre scellée sur le cadavre de Murat n'a jamais été rouverte. A la voûte pend comme un trophée de victoire la bannière qu'il apportait avec lui, et qui a été prise sur lui.

A mon retour à Florence, vers le mois de décembre de la même année, madame Murat, qui habitait cette ville sous le nom de comtesse de Licosi, sachant que j'arrivais du Pizzo, me fit prier de passer chez elle. Je m'empressai de me rendre à son invitation; elle n'avait jamais eu de détails bien précis sur la mort de son mari, et elle me pria de ne lui rien cacher. Je lui racontai tout ce que j'avais appris au Pizzo.

Ce fut alors qu'elle me fit voir la montre qu'elle avait rachetée, et que Murat tenait dans sa main lorsqu'il tomba... Quant à la lettre qu'il lui avait écrite peu d'instants avant sa mort, elle ne l'avait jamais reçue, et ce fut moi qui lui en donnai la première copie.

J'oubliais de dire qu'en souvenir et en récompense du service rendu au gouvernement napolitain, la ville du Pizzo est exemptée pour toujours de droits et d'impôts.

CHAPITRE XIII.
MAÏDA

Comme je l'ai dit, notre speronare n'était point arrivé, et la chose était d'autant plus inquiétante que le temps se préparait à la tempête. Effectivement, la nuit fut affreuse. Nous nous étions logés, séduits par son apparence, dans une petite auberge située sur la place même où débarqua le roi, et à une centaine de pas du petit fortin où est enterré Campana; mais nous n'y fûmes pas plutôt établis que nous nous aperçûmes que tout y manquait, même les lits. Malheureusement il était trop tard pour remonter à la ville, l'eau tombait par torrents et les éclats du tonnerre se succédaient avec une telle rapidité, qu'on n'entendait qu'un seul et continuel roulement qui dominait, tant il était violent, le bruit des vagues qui couvraient toute cette plage et venaient mourir à dix pas de notre auberge.

On nous dressa des lits de sangle; mais, quelques recherches que l'on fit dans la maison, on ne put nous trouver de draps propres. Il en résulta que je fus obligé, comme la veille, de me jeter tout habillé sur mon lit; mais au bout d'un instant, je me trouvai le but de caravanes de punaises tellement nombreuses, que je leur cédai la place et que j'essayai de dormir couché sur deux chaises; peut-être y serais-je parvenu si j'avais eu des contrevents à la chambre, mais il n'y avait que des fenêtres, et les éclairs étaient tellement continus, qu'on eût véritablement dit qu'il faisait grand jour. Le matin j'appelais nos matelots à grands cris, mais à cette heure je priais Dieu qu'ils n'eussent pas quitté le port.

Le jour vint enfin sans que j'eusse fermé l'œil; c'était la troisième nuit que je ne pouvais dormir; j'étais écrasé de fatigue. Comme Murat, j'eusse donné cinquante ducats d'un bain; mais il fut impossible, dans tout le Pizzo, de trouver une baignoire: le chevalier Alcala seul en avait une, probablement celle qui avait servi au prisonnier. Mais quelque envie que j'eusse d'agir en roi; je n'osai pousser l'indiscrétion jusque-là.

Avec le jour la tempête se calma, mais l'air était devenu très-froid, et le temps nuageux et couvert. Dans un tout autre moment je me serais étendu sur le sable de la mer et j'aurais enfin dormi, mais le sable de la mer était tout détrempé, et il était devenu une plaine de boue pareille aux volcans des Maccalubi. Nous n'en sortîmes pas moins de notre bouge afin de chercher notre nourriture, que nous finîmes par trouver dans une petite auberge située sur la place. Pendant que nous étions à déjeuner, nous demandâmes si l'on ne pourrait pas nous coucher la nuit suivante: on nous répondit, comme toujours, affirmativement et en nous montrant une chambre où du moins il y avait l'air de n'avoir que des puces. Nous envoyâmes notre muletier payer notre carte à l'auberge de la plage, et fîmes transporter notre roba dans notre nouveau domicile.

Jadin, qui était parvenu à dormir quelque peu la nuit précédente, s'en alla prendre une vue générale du Pizzo; pendant ce temps, je fis couvrir mon lit avec l'intention de me reposer au moins si je ne pouvais dormir.

Mais alors se renouvela l'histoire des draps: les draps sont une grande affaire dans les auberges d'Italie en général, et dans celles de Sicile et de Calabre en particulier. Il est rare que du premier coup on vous donne une paire de draps blancs; presque toujours on essaie de surprendre votre religion avec des draps douteux, ou avec un drap propre et un drap sale; chaque soir c'est une lutte qui se renouvelle avec les mêmes ruses et la même obstination de la part des aubergistes, qui, à mon avis, auraient bien plutôt fait de les faire blanchir. Mais sans doute, quelque préjugé qui s'y oppose, quelque superstition qui le défende, les draps blancs, c'est le rara avis de Juvénal, c'est le phœnix de la princesse de Babylone.

Je passai en revue toute la lingerie de l'hôtel sans en venir à mon honneur. Cette fois, je n'y tins pas; indiscret on non, j'écrivis à M. le chevalier Alcala pour le prier de nous prêter deux paires de draps. Il accourut lui-même pour nous offrir d'aller coucher chez lui; mais comme nous comptions partir le lendemain de grand matin, je ne voulus pas lui causer ce dérangement. Il insista, mais je tins bon; et le garçon de l'hôtel, envoyé chez lui, revint avec tes bienheureux draps tant ambitionnés.

Je profitai de cette visite pour arrêter avec lui nos affaires relativement au speronare. Il était évident qu'après la tempête de la nuit, nos gens n'arriveraient pas dans la journée; il fallait donc continuer notre route par terre. Je laissai trois lettres pour le capitaine: une à l'auberge de la place, l'autre à l'auberge du rivage, et l'autre à M. le chevalier Alcala. Toutes trois annonçaient à notre équipage que nous partions pour Cosenza, et lui donnaient rendez-vous à San-Lucido. Les nouvelles du tremblement de terre commençaient à arriver de l'intérieur de la Calabre; on disait que Cosenza et ses environs avaient beaucoup souffert; plusieurs villages, à ce qu'on assurait, n'offraient plus que des ruines; des maisons avaient disparu, entièrement englouties, elles et leurs habitants. Au reste, les secousses continuaient tous les jours, ou plutôt toutes les nuits, ce qui faisait qu'on ignorait où s'arrêterait la catastrophe. Je demandai au chevalier Alcala si la tempête de cette nuit n'avait pas quelques rapports avec le tremblement de terre, mais il me répondit en souriant, moitié croyant, moitié incrédule, que la tempête de la nuit était la tempête anniversaire. Je lui demandai l'explication de cette espèce d'énigme atmosphérique.

— Informez-vous, me dit-il, au dernier paysan des environs, et il vous répondra avec une conviction parfaite: c'est l'esprit de Murat qui visite le Pizzo.

— Et vous, que me répondrez-vous? lui demandai-je en souriant.

— Moi,je vous répondrai que depuis vingt ans cette tempête n'a pas manqué une seule fois de revenir à jour et à heure fixe, affirmation de laquelle, en votre qualité de Français et de philosophe, vous tirerez la conclusion que vous voudrez.

Sur quoi le chevalier Alcala se retira, de peur sans doute d'être pressé de nouvelles questions.

Toute la journée se passa sans que nous aperçussions apparence de speronare; nous restâmes sur la terrasse du château jusqu'au dernier rayon de jour, les yeux fixés sur Tropea, et atteints de quelques légères inquiétudes. Comptant sur le vent, nous étions partis, comme nous l'avons dit, avec quelques louis seulement, et si le temps contraire continuait nous devions bientôt arriver à la fin de notre trésor. Pour comble de malheur, lorsque nous rentrâmes à l'hôtel, notre muletier nous signifia que nous n'eussions point à compter sur lui pour le lendemain, attendu que nous étions beaucoup trop aventureux pour lui, et que c'était un miracle comment nous n'avions pas été assassinés et lui avec nous, surtout portant le nom de Français, nom qui a laissé peu de tendres souvenirs en Calabre. Nous essayâmes de le décider à venir avec nous jusqu'à Cosenza, mais toutes nos instances furent inutiles; nous le payâmes, et nous nous mîmes à la recherche d'un autre muletier.

Ce n'était pas chose facile, non pas que l'espèce manquât; mais au Pizzo l'animal changeait de nom. Partout en Italie j'avais entendu appeler les mulets, muli, et je continuais de désigner l'objet sous ce nom: personne ne m'entendait. Je priai alors Jadin de prendre son crayon et de dessiner une mule toute caparaçonnée. Notre hôte, à qui nous nous étions adressés, suivit avec beaucoup d'intérêt ce dessin; puis, quand il fut fini.

— Ah! s'écria-t-il, una vettura.

Au Pizzo une mule s'appelle vettura. Avis aux philologues et surtout aux voyageurs.

Le lendemain, à six heures, nos deux vetture étaient prêtes. Craignant de la part de notre nouveau conducteur les mêmes hésitations que nous avions éprouvées de la part de celui que nous quittions, nous entamâmes une explication préalable sur ce sujet; mais celui-là se contenta de nous répondre en nous montrant son fusil qu'il portait en bandoulière: — Où vous voudrez, comme vous voudrez, à l'heure que vous voudrez. Nous appréciâmes ce laconisme tout spartiate; nous fîmes une dernière visite à notre terrasse pour nous assurer que le speronare n'était point en vue; puis enfin, désappointés cette fois encore, nous revînmes à l'hôtel, nous enfourchâmes nos mules et nous partîmes.

Cette humeur aventureuse de notre guide nous fut bientôt expliquée par lui-même: c'était un véritable Pizziote. Je demande pardon à l'Académie si je fais un nom de peuple qui probablement n'existe pas. Or, la conduite que tint le Pizzo à l'endroit de Murat fut, il faut le dire, fort diversement jugée dans le reste des Calabres. A cette première dissension, soulevée par un mouvement politique, vinrent se joindre les faveurs dont la ville fut comblée et qui soulevèrent un mouvement d'envie; de sorte que les habitants du Pizzo, je n'ose répéter le mot, sortent à peine de la circonscription de leur territoire qu'ils se trouvent en guerre avec les populations voisines. Cette circonstance fait que dès leur enfance ils sortent armés, s'habituent jeunes au danger et, par conséquent habitués à lui, cessent de le craindre. Sur ce point, celui du courage, les autres Calabrais, en les appelant presque toujours traditori, leur rendaient au moins pleine et entière justice.

Tout en cheminant et en causant avec notre guide, il nous parla d'un village nommé Vena, qui avait conservé un costume étranger et une langue que personne ne comprenait en Calabre. Ces deux circonstances nous donnèrent le désir de voir ce village; mais notre guide nous prévint que nous n'y trouverions point d'auberge, et que par conséquent il ne fallait pas penser à nous y arrêter, mais à y passer seulement. Nous nous informâmes alors où nous pourrions faire halte pour la nuit, et notre Pizziote nous indiqua le bourg de Maïda comme le plus voisin de celui de Vena, et celui dans lequel, à la rigueur, des signori pouvaient s'arrêter; nous le priâmes donc de se détourner de la grande route et de nous conduire à Maïda. Comme c'était le garçon le plus accommodant du monde, cela ne fit aucune difficulté; c'était un jour de retard pour arriver à Cosenza, voilà tout.

 

Nous nous arrêtâmes sur le midi à un petit village nommé Fundaco del Fico, pour reposer nos montures et essayer de déjeuner; puis, après une halte d'une heure, nous reprîmes notre course, en laissant la grande route à notre gauche et en nous engageant dans la montagne.

Depuis trois ou quatre jours, la crainte de mourir de faim dans les auberges avait à peu près cessé; nous étions engagés dans la région des montagnes où poussent les châtaigniers, et, comme nous approchions de l'époque de l'année où l'on commence la récolte de cet arbre, nous prenions les devants de quelques jours en bourrant nos poches de châtaignes, qu'en arrivant dans les auberges je faisais cuire sous la cendre et mangeais de préférence au macaroni, auquel je n'ai jamais pu m'habituer, et qui était souvent le seul plat qu'avec toute sa bonne volonté notre hôte pût nous offrir. Cette fois, comme toujours, je me gardai bien de déroger à cette habitude, attendu que d'avance je me faisais une assez médiocre idée du gîte qui dons attendait.

Après trois heures de marche dans la montagne, nous aperçûmes Maïda. C'était un amas de maisons, situées au haut d'une montagne, qui avaient été recouvertes primitivement, comme toutes les maisons calabraises, d'une couche de plâtre ou de chaux, mais qui, dans les secousses successives quelles avaient éprouvées, avaient secoué une partie de cet ornement superficiel, et qui, presque toutes, étaient couvertes de larges taches grises qui leur donnaient à toutes l'air d'avoir eu quelque maladie de peau. Nous nous regardâmes, Jadin et moi, en secouant la tête et en supputant mentalement la quantité incalculable d'animaux de toute espèce qui, outre les Maïdiens, devaient habiter de pareilles maisons. C'était effroyable à penser; mais nous étions trop avancés pour reculer. Nous continuâmes donc notre route sans même faire part à notre guide de terreurs qu'il n'aurait point comprises.

Arrivés au pied de la montagne, la pente se trouva si rapide et si escarpée que nous préférâmes mettre pied à terre et chasser nos mulets devant nous. Nous avions fait à peine une centaine de pas en suivant ce chemin, lorsque nous aperçûmes sur la pointe d'un roc une femme en haillons et toute échevelée. Comme nous étions, s'il fallait en croire nos Siciliens, dans un pays de sorcières, je demandai à nôtre guide à quelle race de strigges appartenait la canidie calabraise que nous avions devant les yeux: notre guide nous répondit alors que ce n'était pas une sorcière, mais une pauvre folle; et il ajouta que si nous voulions lui faire l'aumône de quelques grains, ce serait une bonne action devant Dieu. Si pauvres que nous commençassions d'être nous-mêmes, nous ne voulûmes pas perdre cette occasion d'augmenter la somme de nos mérites, et je lui envoyai par notre guide la somme de deux carlins: cette somme parut sans doute à la bonne femme une fortune, car elle quitta à l'instant même son rocher et se mit à nous suivre en faisant de grands gestes de reconnaissance et de grands cris de joie: nous eûmes beau lui faire dire que nous la tenions quitte, elle ne voulut entendre à rien, et continua de marcher derrière nous, ralliant à elle tous ceux que nous rencontrions sur notre route, et qui, éloignés de tout chemin, semblaient aussi étonnés de voir des étrangers qu'auraient pu l'être des insulaires des îles Sandwich ou des indigènes de la Nouvelle-Zemble. Il en résulta qu'en arrivant à la première rue nous avions à notre suite une trentaine de personnes parlant et gesticulant à qui mieux mieux, et au milieu de ces trente personnes la pauvre folle, qui racontait comment nous lui avions donné deux carlins, preuve incontestable que nous étions des princes déguisés.

Au reste, une fois entrés dans le bourg, ce fut bien pis: chaque maison, pareille aux sépulcres du jour du jugement dernier, rendit à l'instant même ses habitants; au bout d'un instant, nous ne fûmes plus suivis, mais entourés de telle façon qu'il nous fut impossible d'avancer. Nous nous escrimâmes alors de notre mieux à demander une auberge; mais il paraît, ou que notre accent avait un caractère tout particulier, ou que nous réclamions une chose inconnue, car à chaque interpellation de ce genre la foule se mettait à rire d'un rire si joyeux et si communicatif que nous finissions par partager l'hilarité générale. Ce qui, au reste, excitait au plus haut degré la curiosité des Maïdiens mâles, c'étaient nos armes, qui, par leur luxe, contrastaient, il faut le dire, avec la manière plus que simple dont nous étions mis; nous ne pouvions pas les empêcher de toucher, comme de grands enfants, ces doubles canons damassés, qui étaient l'objet d'une admiration que j'aimais mieux voir se manifester, au reste, au milieu du village que sur une grande route. Enfin nous commencions à nous regarder avec une certaine inquiétude, lorsque tout à coup un homme fendit la foule, me prit par la main, déclara que nous étions sa propriété, et qu'il allait nous conduire dans une maison où nous serions comme les anges dans le ciel. La promesse, on le comprend bien, nous allécha. Nous répondîmes au brave homme que, s'il tenait seulement la moitié de ce qu'il promettait, il n'aurait pas à se plaindre de nous: il nous jura ses grands dieux que des princes ne demanderaient pas quelque chose de mieux que ce qu'il allait nous montrer. Puis, fendant cette foule qui devenait de plus en plus considérable, il marcha devant nous sans nous perdre de vue un instant, parlant sans cesse, gesticulant sans relâche, et ne cessant de nous répéter que nous étions bien favorisés du ciel d'être tombés entre ses mains.

Tout ce bruit et toutes ces promesses aboutirent à nous amener devant une maison, il faut l'avouer, d'une apparence un peu supérieure à celles qui l'environnaient, mais dont l'intérieur nous présagea à l'instant même les maux dont nous étions menacés. C'était une espèce de cabaret, composé d'une grande chambre divisée en deux par une tapisserie en lambeaux qui pendait des solives, et qui laissait pénétrer de la partie antérieure à la partie postérieure par une déchirure en forme de porte. A droite de la partie antérieure consacrée au public, était un comptoir avec quelques bouteilles de vin et d'eau-de-vie et quelques verres de différentes grandeurs. A ce comptoir était la maîtresse de la maison, femme de trente à trente-cinq ans, qui n'eût peut-être point paru absolument laide si une saleté révoltante n'eût pas forcé le regard de se détourner de dessus elle. A gauche était, dans un enfoncement, une truie qui, venant de mettre bas, allaitait une douzaine de marcassins, et dont les grognements avertissaient les visiteurs de ne pas trop empiéter sur son domaine. La partie postérieure, éclairée par une fenêtre donnant sur un jardin, fenêtre presque entièrement obstruée par les plantes grimpantes, était l'habitation dé l'hôtesse. A droite était son lit couvert de vieilles courtines vertes, à gauche une énorme cheminée ou grouillait couché sur la cendre quelque chose qui ressemblait dans l'obscurité à un chien, et que nous reconnûmes quelque temps après pour un de ces crétins hideux, à gros cou et à ventre ballonné, comme on en trouve à chaque pas dans le Valais. Sur le rebord de la croisée étaient rangées sept ou huit lampes à trois becs, et au-dessous du rebord était la table, couverte pour le moment de hideux chiffons tout hâillonnés que l'on eût jetés en France à la porte d'une manufacture de papier. Quant au plafond, il était à claire-voie, et s'ouvrait sur un grenier bourré de foin et de paille.

C'était là le paradis où nous devions être comme des anges.

Notre conducteur entra le premier et échangea tout bas quelques paroles avec notre future hôtesse; puis il revint la figure riante nous annoncer que, quoique la signora Bertassi n'eût point l'habitude de recevoir des voyageurs, elle consentait, en faveur de nos excellences, à se départir de ses habitudes et à nous donner à manger et à coucher. A entendre notre guide, au reste, c'était une si grande faveur qui nous était accordée, que c'eût été le comble de l'impolitesse de la refuser. La question de paraître poli ou impoli à la signora Bertassi était, comme on s'en doute, fort secondaire pour nous; mais, après nous être informés à notre Pizziote, nous apprîmes qu'effectivement nous ne trouverions pas une seule auberge dans tout Maïda, et très probablement non plus pas une seule maison aussi confortable que celle qui nous était offerte. Nous nous décidâmes donc à entrer, et ce fut alors que nous passâmes l'inspection des localités: c'était, comme on l'a vu, à faire dresser les cheveux.