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Henri III et sa Cour

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ACTE DEUXIEME

Une salle du Louvre. – A gauche, deux fauteuils et quelques tabourets préparés pour le roi, la reine mère et les courtisans. Joyeuse est couché dans l'un de ces fauteuils, et Saint-Mégrin, debout, appuyé sur le dossier de l'autre. Du côté opposé, d'Epernon est assis à une table sur laquelle est posé un échiquier. Au fond, Saint-Luc fait des armes avec du Halde. Chacun d'eux a près de lui un page à ses couleurs.

SCENE I

JOYEUSE, SAINT-MEGRIN, D'EPERNON, SAINT-LUC, DU HALDE, Pages

D'EPERNON

Messieurs, qui de vous fait ma partie d'échecs, en attendant le retour du roi? Saint-Mégrin, ta revanche?

SAINT-MEGRIN

Non, je suis distrait aujourd'hui.

JOYEUSE

Oh! décidément, c'est la prédiction de l'astrologue…Vrai Dieu! c'est un véritable sorcier. Sais-tu bien qu'il avait prédit à Dugast qu'il n'avait plus que quelques jours à vivre, quand la reine Marguerite l'a fait assassiner? Je parie que c'est un horoscope du même genre qui occupe Saint-Mégrin, et que quelque grande dame dont il est amoureux…

SAINT-MEGRIN, l'interrompant vivement

Mais toi-même, Joyeuse, que ne fais-tu la partie de d'Epernon?

JOYEUSE

Non, merci.

D'EPERNON

Est-ce que tu veux réfléchir aussi, toi?

JOYEUSE

C'est, au contraire, pour ne pas être obligé de réfléchir.

SAINT-LUC

Eh bien, veux-tu faire des armes avec moi, vicomte?

JOYEUSE

C'est trop fatigant, et puis tu n'es pas de ma force. Fais une oeuvre charitable, tire d'Epernon d'embarras…

SAINT-LUC

Soit.

JOYEUSE, tirant un bilboquet de son escarcelle

Vive Dieu! messieurs, voilà un jeu…Celui-là ne fatigue ni le corps ni l'esprit…Sais-tu bien que cette nouvelle invention a eu un succès prodigieux chez la présidente? A propos, tu n'y étais pas, Saint-Luc; qu'es-tu donc devenu?

SAINT-LUC

J'ai été voir les Gelosi; tu sais, ces comédiens italiens qui ont obtenu la permission de représenter des mystères à l'hôtel de Bourbon.

JOYEUSE

Ah! oui…moyennant quatre sous par personne.

SAINT-LUC

Et puis, en passant…Un instant, d'Epernon, je n'ai pas joué.

JOYEUSE

Et puis, en passant?..

SAINT-LUC

Où?

JOYEUSE

En passant, disais-tu?

SAINT-LUC

Oui…Je me suis arrêté en face de Nesle, pour y voir poser la première pierre d'un pont qu'on appellera le pont Neuf.

D'EPERNON

C'est Ducerceau qui l'a entrepris…On dit que le roi va lui accorder des lettres de noblesse.

JOYEUSE

Et justice sera faite…Sais-tu bien qu'il m'épargnera au moins six cents pas, toutes les fois que je voudrais aller à l'Ecole Saint-Germain? (Il laisse tomber son bilboquet, et appelle son page, qui est à l'autre bout de la salle) Bertrand, mon bilboquet…

SAINT-LUC

Messieurs, grande réforme! Ce matin, madame de Sauve m'a dit en confidence que le roi avait abandonné les fraises gaudronnées pour prendre les collets renversés à l'italienne.

D'EPERNON

Eh! que ne nous disais-tu pas cela!..Nous serons en retard d'un jour…Tiens, Saint-Mégrin le savait, lui…(A son page) Que je trouve demain un collet renversé au lieu de cette fraise…

SAINT-LUC, riant

Ah! ah!..tu te souviens que le roi t'a exilé quinze jours, parce qu'il manquait un bouton à ton pourpoint…

JOYEUSE

Eh bien, moi, je vais te rendre nouvelle pour nouvelle. Antraguet rentre aujourd'hui en grâce.

SAINT-LUC

Vrai?..

JOYEUSE

Oui, il est décidément guisard…C'est le Balafré qui a exigé du roi qu'il lui rendît son commandement…Depuis quelque temps, le roi fait tout ce qu'il veut.

D'EPERNON

C'est qu'il a besoin de lui…Il paraît que le Béarnais est en campagne, le harnais sur le dos…

JOYEUSE

Vous verrez que ce damné d'hérétique nous fera battre pendant l'été…Mettez-vous donc en campagne de cette chaleur-là…avec cent cinquante livres de fer sur le corps!..pour revenir hâlé comme un Andalou…

SAINT-LUC

Ce serait un mauvais tour à te faire, Joyeuse…

JOYEUSE

Je l'avoue; j'ai plus peur d'un coup de soleil que d'un coup d'épée…et, si je le pouvais, je me battrais toujours, comme Bussy d'Amboise l'a fait dans son dernier duel, au clair de la lune…

SAINT-LUC

Quelqu'un a-t-il de ses nouvelles?

D'EPERNON

Il est toujours dans l'Anjou, près de Monsieur…C'est encore un ennemi de moins pour le guisard.

JOYEUSE

A propos de guisard, Saint-Mégrin, sais-tu ce qu'en dit la maréchale de Retz? Elle dit qu'auprès du duc de Guise, tous les princes paraissent peuple.

SAINT-MEGRIN

Guise!..toujours Guise!..Vive Dieu!..que l'occasion se présente (tirant son poignard et coupant son gant en morceaux), et, de par saint Paul de Bordeaux! je veux hacher tous ces petits princes lorrains comme ce gant.

JOYEUSE

Bravo, Saint-Mégrin!..Vrai-Dieu! je le hais autant que toi.

SAINT-MEGRIN

Autant que moi! Malédiction! si cela est possible; je donnerais mon titre de comte pour sentir, cinq minutes seulement, son épée contre la mienne…Cela viendra peut-être…

DU HALDE

Messieurs, messieurs, voilà Bussy…

SAINT-MEGRIN

Comment! Bussy d'Amboise?..

SCENE II

LES MEMES, BUSSY D'AMBOISE
BUSSY D'AMBOISE

Eh! oui, messieurs, lui-même, en personne…Aux amis, salut…Bonjour, Saint-Mégrin…

SAINT-MEGRIN

Et nous qui te croyions à cent lieues d'ici.

BUSSY D'AMBOISE

J'y étais, il y a trois jours…Aujourd'hui, me voilà.

JOYEUSE

Ah! ah!..vous êtes donc raccommodés?..Il voulait te tuer avec

Quélus…Il n'y a pas de sa faute, si le coup n'a pas réussi…

BUSSY D'AMBOISE

Oui, pour la dame de Sauve…Mais, depuis, nous avons mesuré nos épées, et elles se sont trouvées de la même longueur…

SAINT-LUC

A propos de la dame de Sauve, on dit que, pour qu'elle soit plus sûre de ta fidélité, tu lui écris avec ton sang, comme Henri III écrivait de Pologne à la belle Renée de Chateauneuf…Sans doute elle était prévenue de ton arrivée, elle…

BUSSY D'AMBOISE

Non. Nous voyageons incognito…Mais je n'ai pas voulu passer si près de vous, sans venir vous demander s'il n'y avait pas quelqu'un de vous qui eût besoin d'un second…

SAINT-MEGRIN

Cela se pourra faire, si tu ne nous quittes pas trop tôt.

BUSSY D'AMBOISE

Tête-Dieu!..le cas échéant, je suis homme à retarder mon départ;…ainsi ne te gêne pas. Il y a si longtemps que cela ne m'est arrivé…c'est tout au plus si, en province, on trouve à se battre une fois par semaine…Heureusement que j'avais là, sous la main, mon ami Saint-Phal; nous nous sommes battus trois fois, parce qu'il soutenait avoir vu des X sur les boutons d'un habit, où je crois qu'il y avait des Y…

SAINT-MEGRIN

Bah! pas possible…

BUSSY D'AMBOISE

Parole d'honneur! Crillon était mon second…

JOYEUSE

Et qui avait raison?

BUSSY D'AMBOISE

Nous n'en savons rien encore: la quatrième rencontre en décidera…Mais que vois-je donc là-bas? Les pages d'Antraguet!..Je croyais que, depuis la mort de Quélus…

SAINT-LUC

Le duc de Guise a sollicité sa grâce.

BUSSY D'AMBOISE

Ah! oui, sollicité…j'entends…Il est donc toujours insolent, notre beau cousin de Guise?..

SAINT-MEGRIN

Pas encore assez…

D'EPERNON

Vrai-Dieu! tu es difficile…Je suis sûr qu'au fond du coeur, le roi n'est pas de ton avis.

SAINT-MEGRIN

Qu'il dise donc un mot…

D'EPERNON

Ah! vois-tu, c'est qu'il est trop occupé dans ce moment, il apprend le latin.

SAINT-MEGRIN

Tête-Dieu! qu'a-t-il besoin de latin pour parler à des Français? Qu'il dise seulement: «A moi, ma brave noblesse!» et un millier d'épées qui coupent bien, sortiront des fourreaux où elles se rouillent. N'a-t-il plus dans la poitrine le même coeur qui battait à Jarnac et à Moncontour, ou ses gants parfumés ont-ils amolli ses mains, au point qu'elles ne puissent plus serrer la garde d'une épée?

D'EPERNON

Silence, Saint-Mégrin!..le voilà…

UN PAGE, entrant

Le roi!..

BUSSY D'AMBOISE

Je vais me tenir un peu à l'écart…Je ne me montrerai que s'il est de bonne humeur…

UN SECOND PAGE

Le roi! (Tout le monde se lève et se groupe)

UN TROISIEME PAGE

Le roi!

SCENE III

LES MEMES, HENRI, puis CATHERINE

HENRI

Salut, messieurs, salut…Villequier, qu'on prévienne madame ma mère de mon retour, et qu'on s'informe si l'on a apporté mon nouvel habit d'amazone…Ah! dites à la reine que je passerai chez elle, afin de fixer le jour de notre départ pour Chartres; car vous savez, Messieurs, que la reine et moi faisons un pèlerinage à Notre-Dame de Chartres, afin d'obtenir du ciel ce qu'il nous a refusé jusqu'à présent, un héritier de notre couronne. Ceux qui voudront nous suivre seront les bienvenus.

 
SAINT-MEGRIN

Sire, si, au lieu d'un pèlerinage à Notre-Dame de Chartres, vous ordonniez une campagne dans l'Anjou…si vos gentilshommes étaient revêtus de cuirasses au lieu de cilices, et portaient des épées en guise de cierges, Votre Majesté ne manquerait pas de pénitents, et vous me verriez au premier rang, sire, dussé-je faire la moitié de la route pieds nus sur des charbons ardents.

HENRI

Chaque chose aura son tour, mon enfant. Nous ne resterons pas en arrière dès qu'il le faudra; mais, en ce moment, grâce à Dieu, notre beau royaume de France est en paix, et le temps ne nous manque pas pour nous occuper de nos dévotions. Mais que vois-je! vous à ma cour, seigneur de Bussy? (A Catherine de Médicis qui entre) Venez, ma mère, venez: vous allez avoir des nouvelles de votre fils bien-aimé, qui, s'il eût été frère soumis et sujet respectueux, n'aurait jamais dû quitter notre cour…

CATHERINE

Il y revient, peut-être, mon fils…

HENRI, s'asseyant

C'est ce que nous allons savoir…Asseyez-vous, ma mère…Approchez, seigneur de Bussy…Où avez-vous quitté notre frère?

BUSSY D'AMBOISE

A Paris, sire.

HENRI

A Paris!..Serait-il dans notre bonne ville de Paris?

BUSSY D'AMBOISE

Non; mais il y est passé cette nuit.

HENRI

Et il se rend?..

BUSSY D'AMBOISE

Dans la Flandre…

HENRI

Vous l'entendez, ma mère. Nous allons sans doute avoir dans notre famille un duc de Brabant. Et pourquoi a-t-il passé si près de nous, sans venir nous présenter son hommage de fidélité, comme à son aîné et à son roi?..

BUSSY D'AMBOISE

Sire…il connaît la grande amitié que lui porte Votre Majesté, et il a craint qu'une fois rentré au Louvre, vous ne l'en laissiez plus sortir.

HENRI

Et il a raison, monsieur; mais, en ce moment, l'absence de son bon serviteur et de sa fidèle épée doit lui faire faute; car peut-être bientôt compte-t-il se servir contre nous de l'un et de l'autre. Arrangez-vous donc, seigneur de Bussy, pour le rejoindre au plus vite, et pour nous quitter au plus tôt. (Un Page entre) Eh bien, qu'y a-t-il?

CATHERINE

Mon fils, c'est sans doute Antraguet qui profite de la permission que vous lui avez volontairement accordée de reparaître en votre royale présence…

HENRI

Oui, oui, volontairement!..Le meurtrier!..Ma mère, mon cousin de Guise m'impose un grand sacrifice; mais pour mes péchés, Dieu veut qu'il soit complet. (Au Page) Parlez.

LE PAGE

Charles Balzac d'Entragues, baron de Dunes, comte de Graville, ex-lieutenant général au gouvernement d'Orléans, demande à déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de sa fidélité et de son respect.

HENRI

Oui, oui;…tout à l'heure nous recevrons notre sujet fidèle et respectueux; mais, auparavant, je veux me séparer de tous ce qui pourrait me rappeler cet affreux duel…Tiens, Joyeuse, tiens!..(Il tire de sa poitrine une espèce de sachet) Voilà les pendants d'oreilles de Quélus; porte-les en mémoire de notre ami commun…D'Epernon, voici la chaîne d'or de Maugiron…Saint-Mégrin, je te donnerai l'épée de Schomberg; elle était bien pesante pour un bras de dix-huit ans!..qu'elle te défende mieux que lui, en pareille circonstance. Et maintenant, messieurs, faites comme moi, ne les oubliez pas dans vos prières.

 
Que Dieu reçoive en son giron
Quélus, Schomberg et Maugiron.
 

Restez autour de moi, mes amis, et asseyez-vous…Faites entrer…(A la vue d'Antraguet, il prend dans sa bourse un flacon qu'il respire) Approchez ici, baron, et fléchissez le genou…Charles Balzac d'Entragues, nous vous avons accordé la faveur de notre présence royale, au milieu de notre cour, pour vous rendre, là où nous vous les avions ôtés, vos dignités et vos titres…Relevez-vous, baron de Dunes, comte de Graville, gouverneur général de notre province d'Orléans, et reprenez près de notre personne royale les fonctions que vous y remplissiez autrefois…Relevez-vous.

D'ENTRAGUES

Non, sire…je ne me relèverai pas, que Votre Majesté n'ait reconnu publiquement que ma conduite, dans ce funeste duel, a été celle d'un loyal et honorable cavalier.

HENRI

Oui…nous le reconnaissons, car c'est la vérité…Mais vous avez porté des coups bien malheureux!..

D'ENTRAGUES

Et maintenant, sire, votre main à baiser, comme gage de pardon et d'oubli.

HENRI

Non, non, monsieur, ne l'espérez pas.

CATHERINE

Mon fils, que faites-vous?

HENRI

Non, madame, non…J'ai pu lui pardonner, comme chrétien, le mal qu'il m'a fait; mais je ne l'oublierai de ma vie.

D'ENTRAGUES

Sire…j'appelle le temps à mon secours; peut-être ma fidélité et ma soumission finiront-elles par fléchir le courroux de Votre Majesté.

HENRI

C'est possible. Mais votre gouvernement doit avoir besoin de votre présence; il en est privé depuis longtemps, baron de Dunes, et le bien de nos fidèles sujets pourraient en souffrir…Qui fait ce bruit?

D'EPERNON

Ce sont ceux de Guise…

HENRI

Notre beau cousin de Lorraine ne profite pas du privilège qu'ont les princes souverains de paraître devant nous sans être annoncés…Ses pages ont toujours soin de faire assez de bruit pour que son arrivée ne soit pas un mystère…

SAINT-MEGRIN

Il traite, avec Votre Majesté, de puissance à puissance…Il a ses sujets comme vous avez les vôtres, et sans doute qu'il vient, armé de pied en cap, présenter en leur nom une humble requête à Votre Majesté.

SCENE IV

LES MEMES, LE DUC DE GUISE

(Il est couvert d'une armure complète, précédé de deux Pages, et suivi par quatre, dont l'un porte son casque)

HENRI

Venez, monsieur le duc, venez…Quelqu'un qui s'est retourné au bruit que faisaient vos pages, et qui vous a aperçu de loin, offrait de parier que vous veniez encore nous supplier de réformer quelque abus, de supprimer quelque impôt…Mon peuple est un peuple bien heureux, mon beau cousin, d'avoir en vous un représentant si infatigable, et en moi un roi si patient!

LE DUC DE GUISE

Il est vrai que Votre Majesté m'a accordé bien des grâces…et je suis fier d'avoir si souvent servi d'intermédiaire entre elle et ses sujets.

SAINT-MEGRIN, à part

Oui, comme le faucon entre le chasseur et le gibier…

LE DUC DE GUISE

Mais, aujourd'hui, sire, un motif plus puissant m'amène encore devant Votre Majesté, puisque c'est à la fois des intérêts de son peuple et des siens que j'ai à l'entretenir…

HENRI

Si l'affaire est si sérieuse, monsieur le duc, ne pourriez-vous pas attendre nos prochains états de Blois?..Les trois ordres de la nation ont là des représentants qui, du moins, ont reçu de nous mission de me parler au nom de leurs mandataires.

LE DUC DE GUISE

Votre Majesté voudra-t-elle bien songer que les états de Blois viennent de se dissoudre, et ne se rassembleront qu'au mois de novembre?..Lorsque le danger est pressant, il me semble qu'un conseil privé…

HENRI

Lorsque le danger est pressant!..Mais vous nous effrayez, monsieur de Guise…Eh bien, toutes les personnes qui composent notre conseil privé sont ici…Parlez, monsieur le duc, parlez.

CATHERINE

Mon fils, permettez que je me retire.

HENRI

Non, madame, non; M. le duc sait bien que nous n'avons rien de caché pour notre auguste mère, et que, dans plus d'une affaire importante, ses conseils nous ont même été d'un utile secours.

LE DUC DE GUISE

Sire, la démarche que je fais près de vous est hardie, peut-être trop hardie…Mais hésiter plus longtemps ne serait pas d'un bon et loyal sujet.

HENRI

Au fait, monsieur le duc, au fait…

LE DUC DE GUISE

Sire, des dépenses immenses, mais nécessaires, puisque Votre Majesté les a faites, ont épuisé le trésor de l'Etat…Jusqu'à présent, Votre Majesté, avec l'aide de ses fidèles sujets, a trouvé moyen de le remplir…Mais cela ne peut durer…L'approbation du saint-père a permis d'aliéner pour deux cent mille livres de rente sur les biens du clergé. Un emprunt a été fait aux membres du Parlement sous prétexte de faire sortir les gens de guerre étrangers…Les diamants de la couronne sont en gage pour la sûreté des trois millions dûs au duc Casimir…Les deniers destinés aux rentes de l'hôtel de ville ont été détournés pour un autre usage, et les états généraux ont eu l'audace de répondre par un refus, lorsque Votre Majesté a proposé d'aliéner les domaines.

HENRI

Oui, oui, monsieur le duc, je sais que nos finances sont en assez mauvais état…Nous prendrons un autre surintendant.

LE DUC DE GUISE

Cette mesure pourrait être suffisante en temps de paix, sire…mais Votre Majesté va se voir contrainte à la guerre. Les huguenots, que votre indulgence encourage, font des progrès effrayants. Favas s'est emparé de la Réole; Montferrand, de Périgueux; Condé de Dijon. Le Navarrois a été vu sous les murs d'Orléans; la Saintonge, l'Agénois et la Gascogne sont en armes, et les Espagnols, profitant de nos troubles, ont pillé Anvers, brûlé huit cents maisons, et passé sept mille habitants au fil de l'épée.

HENRI

Par la mort-Dieu! si ce que vous me dites là est vrai, il faut châtier les huguenots au dedans et les Espagnols au dehors. Nous ne craignons pas la guerre, mon beau cousin; et, s'il le fallait, nous irions nous-même sur le tombeau de notre aïeul Louis IX saisir l'oriflamme, et nous marcherions à la tête de notre brave armée, au cri de guerre de Jarnac et de Moncontour.

SAINT-MEGRIN

Et, si l'argent vous manque, sire, votre brave noblesse est là pour rendre à Votre Majesté ce qu'elle a reçu d'elle. Nos maisons, nos terres, nos bijoux peuvent se monnayer, monsieur le duc; et, vive-Dieu! en fondant les seules broderies de nos manteaux et les chiffres de nos dames, nous aurions de quoi envoyer à l'ennemi, pendant toute une campagne, des balles d'or et des boulets d'argent.

HENRI

Vous l'entendez, monsieur le duc?

LE DUC DE GUISE

Oui, sire. Mais, avant que cette idée vînt à M. le comte de Saint-Mégrin, trente mille de vos braves sujets l'avaient eue; ils s'étaient engagés par écrit à fournir de l'argent au trésor et des hommes à l'armée; ce fut le but de la sainte Ligue, sire, et elle le remplira, lorsque le moment en sera venu…Mais je ne puis cacher à Votre Majesté les craintes qu'éprouvent ses fidèles sujets, en ne la voyant pas reconnaître hautement cette grande association.

HENRI

Et que faudrait-il pour cela?

LE DUC DE GUISE

Lui nommer un chef, sire, d'une grande maison souveraine, digne de sa confiance et de son amour, par son courage et sa naissance, et qui surtout ait assez fait ses preuves comme bon catholique, pour rassurer les zélés sur la manière dont il agirait dans les circonstances difficiles…

HENRI

Par la mort-Dieu! monsieur le duc, je crois que votre zèle pour notre personne royale est tel, que vous seriez tout prêt à lui épargner l'embarras de chercher bien loin ce chef…Nous y penserons à loisir, mon beau cousin, nous y penserons à loisir.

LE DUC DE GUISE

Mais Votre Majesté devrait peut-être à l'instant…

HENRI

Monsieur le duc, quand je voudrai entendre un prêche, je me ferai huguenot…Messieurs, c'est assez nous occuper des affaires de l'Etat, songeons un peu à nos plaisirs. J'espère que vous avez reçu nos invitations pour ce soir, et que madame de Guise, madame de Montpensier, et vous, mon cousin, voudrez bien embellir notre bal masqué.

SAINT-MEGRIN, montrant la cuirasse du duc

 

Votre Majesté ne voit-elle pas que M. le duc est déjà en costume de chercheur d'aventures?

LE DUC DE GUISE

Et de redresseur de torts, monsieur le comte.

HENRI

En effet, mon beau cousin, cet habit me paraît bien chaud pour le temps qui court.

LE DUC DE GUISE

C'est que, pour le temps qui court, sire, mieux vaut une cuirasse d'acier qu'un justaucorps de satin.

SAINT-MEGRIN

M. le duc croit toujours entendre la balle de Poltrot siffler à ses oreilles.

LE DUC DE GUISE

Quand les balles m'arrivent en face, monsieur le comte (montrant sa blessure à la joue), voilà qui fait foi que je ne détourne pas la tête pour les éviter.

JOYEUSE, prenant sa sarbacane

C'est ce que nous allons voir…

SAINT-MEGRIN, lui arrachant la sarbacane

Attends!..il ne sera pas dit qu'un autre que moi en aura fait l'expérience. (Lui envoyant une dragée au milieu de la poitrine) A vous, monsieur le duc.

TOUS

Bravo! bravo!

LE DUC DE GUISE, portant la main à son poignard

Malédiction! (Saint-Paul l'arrête)

SAINT-PAUL

Qu'allez-vous faire!..

HENRI

Par la mort-Dieu! mon cousin de Guise, j'aurais cru que cette belle et bonne cuirasse de Milan était à l'épreuve de la balle…

LE DUC DE GUISE

Et vous aussi, sire!..Qu'ils rendent grâce à la présence de Votre

Majesté.

HENRI

Oh! qu'à cela ne tienne, monsieur le duc, qu'à cela ne tienne; agissez comme si nous n'y étions pas…

LE DUC DE GUISE

Votre Majesté permet donc que je descende jusqu'à lui?..

HENRI

Non, monsieur le duc; mais je puis l'élever jusqu'à vous…Nous trouverons bien, dans notre beau royaume de France, un fief vacant, pour en doter notre fidèle sujet le comte de Saint-Mégrin.

LE DUC DE GUISE

Vous en êtes le maître, sire…Mais d'ici là?..

HENRI

Eh bien, nous ne vous ferons pas attendre…Comte Paul Estuert, nous te faisons marquis de Caussade.

LE DUC DE GUISE

Je suis duc, sire.

HENRI

Comte Paul Estuert, marquis de Caussade, nous te faisons duc de Saint-Mégrin; et maintenant, monsieur de Guise, répondez-lui…car il est votre égal.

SAINT-MEGRIN

Merci, sire, merci; je n'ai pas besoin de cette nouvelle faveur; et, puisque Votre Majesté ne s'y oppose pas, je veux le défier de manière à ce qu'il s'ensuive combat ou déshonneur…Or, écoutez, messieurs: moi, Paul Estuert, seigneur de Cassade, comte de Saint-Mégrin, à toi, Henri de Lorraine, duc de Guise; prenons à témoin tous ceux ici présents, que nous te défions au combat à outrance, toi et tous les princes de ta maison, soit à l'épée seule, soit à la dague et au poignard, tant que le coeur battra au corps, tant que la lame tiendra à la poignée; renonçant d'avance à ta merci, comme tu dois renoncer à la mienne; et, sur ce, que Dieu et Saint Paul me soient en aide! (Jetant son gant) A toi seul, ou à plusieurs!

D'EPERNON

Bravo, Saint-Mégrin! bien défié.

LE DUC DE GUISE, montrant le gant.

Saint-Paul…

BUSSY D'AMBOISE

Un instant, messieurs!..un instant! Moi, Louis de Clermont, seigneur de Bussy d'Amboise, me déclare ici parrain et second de Paul Estuert de Saint-Mégrin; offrant le combat à outrance à quiconque se déclarera parrain et second de Henri de Lorraine, duc de Guise; et, comme signe de défi et gage du combat, voici mon gant.

JOYEUSE

Vive-Dieu! Bussy, c'est un véritable vol que tu me fais…tu ne m'as pas donné le temps…Mais sois tranquille, si tu es tué…